Pour rien au monde  je n’aurai manqué le retour de mon ami David Sugarman. deschutesIl faut vous dire que celui-ci, dentiste de son état à Boiceville (Etat de New York ) et excellent pêcheur à la mouche, avait patiemment mis de coté suffisamment de dollars pour se payer le voyage de pêche de sa vie , celui dont il nous rebattait les oreilles depuis des années : la pêche à la truite steelhead sur la mythique rivière Deschutes, en Oregon, cote Ouest des U.S.A.
Il avait en un an, tout lu sur la question. Les différentes techniques de pêche de ces poissons si difficiles, les diverses mouches à utiliser, tout ça n’avait plus de secrets pour lui. Les nœuds spéciaux, il pouvait les nouer les yeux bandés.
Il s’était fait offrir pour ses 57 ans une splendide canne « SAGE » et un moulinet ressemblant à un bijou digne des meilleurs joailliers de la Place Vendôme.
Quand il exhibait fièrement ses nouveaux  jouets, il imitait pour notre plus grand plaisir, la musique si inimitable et si douce à nos oreilles du moulinet se dévidant de sa ligne sous la pression du poisson pris au piège. « BJZZZZZZZ » faisait David et son regard d’enfant brillait de convoitise. Il s’y voyait déjà, en avait rêvé tant de nuits de ce voyage, avait cassé les pieds et usé la patience de sa femme Franny tant de fois ! Mais nous autres, nous étions fiers de lui. Avant même de prendre son envol pour Portland dans le lointain Oregon, David était devenu notre héros, notre ambassadeur. Son poisson était NOTRE poisson.
C’est la raison pour laquelle je me trouvais ce jour de Novembre à la sortie B1 de l’aéroport de La Guardia, trépignant dans l’attente du retour de notre cher ami.
Lorsque la porte s’ouvrit, j’eus de la peine a le reconnaître. Celui ci avait la moitié de la figure cachée par un pansement d’où s’échappaient des touffes de coton salis de teinture d’iode. Vraiment, le David Sugarman avait une sale bobine.
Ce ne fut qu’une fois installe dans ma vieille Oldsmobile qu’il daigna me conter sa triste histoire.
 » Le matin de mon arrivée sur la rivière Deschutes , je dénichais sans peine un « spot  » qui me semblait être plein d’espoir. Un endroit où l’eau coulait rapidement mais pas trop, où quelques beaux rochers émmergeants devaient offrir un repos mérité à n’importe quelle steelhead remontant du Pacifique, bref, un  » spot  » d’anthologie comme il en figure sur tous les ouvrages traitant de la question. Je nouais ma mouche, une superbe mouche rouge,rose et blanche au bout de ma ligne et m’apprêtait a exécuter un lancer  » roll cast  » comme j’avais vu sur les video du célèbre spécialiste Jim Teeny.120020_xlg
Au moment du lancer où la mouche prend de la vitesse, un coup de vent inattendu et violent fit dévier la mouche de sa trajectoire et, malheur de moi, celle-ci vint se ficher dans le gras de ma lèvre inférieure. Comble de malchance, j’avais omis d’ôter l’ardillon de cet hameçon si bien que son extraction de ma lèvre devenait impossible sans anesthésie. Ce qui me restait donc a faire fut de couper le fil de ma ligne, de remballer mes affaires et de prendre la direction de l’hôpital de Portland.
Là, je fus accueilli par les gloussements de rire des infirmières à la vue de cette énorme décoration rose fichée sur ma bouche. Même le chirurgien (qu’il brûle en enfer !!) qui m’ôta cette merde, pouffait en m’écoutant lui raconter ma mésaventure.
Quand mon pauvre ami eu fini de me conter ses malheurs, je lui demandais innocemment le nom de cette mouche assassine. Et là, je ne puis plus  me retenir d’éclater de rire quand David m’avoua :  » C’était une « BABINE SPECIAL  » !!