J’aimais bien sortir de l’hôtel tôt le matin, il faisait déjà chaud et tout le monde dormait, ensuqués par le soleil inhabituel, les nombreux « mojitos » exotiques,  salsas endiablés, et cigares renversants mais également abasourdis par le décalage horaire,

tarponles Italiens, Québécois et quelques français dormaient tous à qui mieux-mieux. Pour moi, rien de tout ça, je profitais justement de ce décalage pour aller le plus vite possible au bord de l’eau, après avoir fait quelques brasses dans une mer déjà bonne, je m’empiffrais et partais avec ma mobylette de location vers le port où m’attendait Marco et son skiff qui nous permettait de filer vers les flats et d’avancer doucement, comme des prédateurs dans les canaux des mangroves. J’avais l’impression d’être seul au  monde et d’en être, du coup, le plus heureux des hommes ! Je poussais des petits cris de joie, debout sur les pédales, comme un adolescent roulant vers ses premiers baisers, alors que je longeais les plages où les cocotiers qui défilaient comme des platanes sur les routes du midi.

A peine avions-nous gagné la sortie du chenal qui mène au large, nous filions le regard perdu vers l’horizons et les flats où les îles et leurs  mangroves nous tendaient les bras. Alors qu’il larguait les amarres, Marco m’avait dit avec son regard rieur « Hoy nos vamos por el Saballo ! ». J’en frisonne encore, depuis des années je fantasmais sur ce poissons, le fameux Tarpon, Hareng géant des mers chaudes. Monstre qui peuple mes rêves et qui hante ceux de quelques milliers de pêcheurs… Evidement, ça m’avait coûté un œil, mais à l’époque le dollar était encore plus bas qu’aujourd’hui, donc la pilule passait mieux. On m’avait prêté du matos avec lequel je n’avais fouetté qu’une petite heure…dans un champ, derrière la maison, sous les yeux inquiets de quelques génisses d’Aubrac… Une trique pour soie de 13 !! Avec un moulin digne des pros de la gonflette, gros comme un tambourin de danseur de singes… Et les mouches !!!! Des trucs qui feraient pâlir de jalousie les danseuses du Moulin Rouge et du Paris Latin réunies !!! Des hameçons comaques, aiguisés comme des crocs de bouchers, le genre de bidule que t’as pas envie de t’enfoncer dans le cuir… Nous voilà donc filant sous le soleil du matin vers le chenal où Marco pense que nous avons toutes nos chances… plus nous avançons plus mon cœur bat fort… A l’entrée du chenal, Marco coupe le moteur, il n’y a plus un bruit, le silence s’installe, tout comme redescend la griserie de la vitesse. Marco monte sur la plate-forme d’où il commence a scruter la surface et avancer doucement à l’aide du « palo ». Je suis debout à l’avant, la canne à bout de bras, le soleil chauffe, pas un pet de vent, on devine le courant  aux algues qui dansent mollement sur le fond sablonneux, quelques frégates nous regardent de leurs perchoirs alors que nous glissons sans un bruit. Dans  ma main gauche, je caresse doucement, de manière machinale, les plumes de ma mouche tout en en soupesant le poids…meurtrier. tp008Tout d’un coup Marco s’arrête et me dit : « Saballo à las tres » en désignant du doigt un groupe de 6 ou 7 tarpons entrain de marsouiner. J’en ai tellement entendu, tellement lu, tellement rêvé et maintenant je les vois, ils sont là, à une vingtaine de mètres, à trois heures, roulant dans le courant. Nous nous rapprochons doucement, le soleil est déjà haut, je ne sais plus où je suis. Nous avançons sans aucun bruit que celui du clapot, à peine audible, contre la coque du bateau, et les petits grognements que fait Marco sous l’effort en poussant sur sa perche. Puis il me dit : » da le  » Je vois les poissons qui me semblent énormes, là, devant moi, presque immobiles avec leurs gueule de bouledogues ou de mec qu’en aurait trop pris dans la tronche. Un lancer, deux lancers, ma canne pèse une tonne, elle est aussi souple qu’un manche à balais…j’envoie ma mouche qui part…5 mètres plus loin… Mario me lance un regard noir… « prueba lo otra vez ». J’ai tellement les miquettes de le décevoir et de me décevoir itou, que je m’applique et là… je caste à 8 mètres… les tarpons continuent leur chemin comme si de rien n’était… je me sens comme un con. Il faut tout recommencer, ils s’éloignent. « Estas muy nervioso, tira te a l’agua para nadar un rato ». Donc sur les conseils avisés de Marco, je plonge dans l’eau pour me rassurer, cela m’a toujours fait du bien de me sentir entouré par les flots, sur les rivières c’est pareil, de temps en temps j’aime me laisser porter par le courant, ça me détend. A peine remonté à bord, on se tape un sandwich et Marco m’explique que je ne dois pas avoir peur mais que je dois laisser glisser la soie comme je le ferai pour les bones ou tout autre poisson, que le Tarpon n’est qu’un autre poisson. Nous redémarrons et allons faire le tour de l’île pour essayer de les chopper de l’autre côté du chenal… Nous y arrivons en moins de deux… ils sont là, les mêmes. cette fois Marco m’encourage comme si j’étais en train de me taper le Galibier en biclou. Et là, PAF ! j’arrive à balancer ma mouche devant le groupe, un lancer comme j’en ai rarement fait, ma trique était devenue par magie aussi souple qu’une #4 ! Je vois ma mouche, rouge et blanche qui descend lentement à environ un mètre de la tête du premier tarpon, je strippe, encore, encore, les tarpons semblent s’en désintéresser, « STRIP ! STRIP ! », je continue, puis tout d’un coup, comme sans raison, un tarpon quitte le groupe, lentement il commence à suivre ma mouche, Marco m’encourage encore, j’accélère, le tarpon suit toujours, il se rapproche du bateau il semble gros comme un veau, j’ai les foies, tout d’un coup je vois son œil, il a vu le bateau, je marque un temps d’arrêt, tout semble s’arrêter, plus un bruit, que celui de mon cœur qui cogne grave. Puis comme par enchantement, d’un coup de queue, il accélère et file sur ma mouche, d’un coup de tête il l’engame, « deja lo ! » mon moulinet file, « Ya ! Ahora !  » je ferre comme un sourd, je fais rentrer l’hameçon et là…c’est parti ! à peine le tarpon a-t il senti qu’il était ferré qu’il saute en l’air. C’est le plus beau jour de ma vie ! Je compense les sauts comme je peux, m’asseyant parfois presque sur mes talons, levant ma canne à bouts de bras, étrange balai pour qui ne connaît pas, je hurle de bonheur ! Marco est heureux, au bout de quelques minutes, j’arrive à ramener près du bateau cet énorme truc argenté qui m’a tellement fait bander ! Il est énorme, à mes yeux, au moins 40 livres ! Je le sers contre moi, je caresse ses énormes écailles, il me regarde avec sa tronche de demi-sel. Décroché il repartira, rejoindre sa bande. J’ai perdu mon pucelage au large de Cuba, et j’ai commencé mon addiction grâce à ce voyage avec Planet Flyfishing. Depuis, je joue. Tous les jours je joue à mettre quelques euros de côté. Olivier, de Planet, m’a fait part d’un nouveau spot qu’il allait bientôt ouvrir à Cuba, à Cayo Maria et qui semblait prometteur. Pour Noël, je me suis offert un Billie Pate, sur ebay, sur le côté, gravé en Italique, on peut lire : Tarpon … je suis prêt, j’en veux encore.

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