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J’aimais cette matinée de printemps, le premier week-end de l’année où enfin la douceur printanière ferait que les éclosions de midi attireraient sans doutes les premières truites de la saison, friandes de protéines pour se refaire la couenne au sortir de l’hiver. J’avais garé ma voiture près du pont de Palmas et je remontais la rivière en pêchant les bordures, le soleil réchauffait les berges, pas encore protégées par la végétation. La lumière était franche, presque éblouissante. L’herbe des prés d’un vert tendre où les fleurs de pissenlits éclataient de leur jaune pétard. Je commençais à avoir les crocs, mon petit déjeuné était loin derrière moi. J’avais déjà sorti trois petites truites noires et farouches et il était temps de casser la croûte. Une mésange curieuse venait sautiller devant moi. Je remontais sur les berges du champ pour avoir une vue plongeante sur la rivière et là, je restais interdit. Allongée sur les pierres, en contrebas, profitant des premiers rayons du printemps, Mademoiselle Prichard, la professeur d’anglais du collège était étendue, la jupe à moitié relevée, offrant ces cuisses blanches et que j’imaginais douces, à la rivière. Je m’allongeais sur l’herbe et je la regardais en silence. Elle semblait morte, mais je voyais sa poitrine qui montait et descendait suivant le rythme de sa respiration. Ce n’est que plus tard, transpirant dans mes waders en Néoprène, que je fus réveillé par le souffle chaud et bruyant d’une vache et de ses copines, sans doutes intriguées par ma présence dans leur près. Il était près de quatre heures, le soleil commençait à tomber, Mademoiselle Prichard n’était plus là. Je rentrais dans la voiture qui sentait l’essence, et pris le chemin de la maison. A la boulangerie, de Bertholène je croisais Miss Prichard, jeune et jolie qui me regardant droit dans les yeux, le sourire aux lèvres m’apostropha d’un « alors, ça a mordu sur le gazon ? ». Elle est repartie l’année suivante pour l’Angleterre et je ne l’ai jamais revue. Depuis ce jour, je reviens tous les débuts de saisons dans ce prés aux vaches au souffle chaud et aux berges accueillantes. Je n’y croise que des pêcheurs aux vers…