« Tiens, mon Fléche, reprend donc une canette »  me dit mon ami Michet Trouillas en posant sa vieille canne Garbolino sur le rocher. On avait arpenté « sa » rivière, la Volane, au-dessus de Vals les Bains, toute la matinée et il était grand temps de se remplir la panse. « Est-ce je t’ai déjà parlé de mon beau-père, le fameux Papy Laur ? Non ? Et bien cale toi bien.Le papy, juste après la guerre de 40, était descendu de Mazan, là-haut sur la plateau, pour s’installer en basse Ardèche. Ils avaient tout perdu pendant cette saloperie de guerre. Même leur fils au cours d’un bombardement. Pas un rond en poche. Et l’idée germa de pêcher et de se faire du pognon en vendant ses truites aux alentours et ainsi, de nourrir sa famille. Tous les jours, Laur enfourchait sa mobylette bleue et partait braconner les ruisseaux des environs avec sa canne lourde comme une barre à mines. Tellement qu’il était bon le papy que son carnet de commandes se remplissait.  Je peux te dire qu’il assurait, Laur ! Même le restaurant du Stade, à Vals les Bains, s’assurait ses services ».

« Douze truites pour Dimanche midi. Et des belles ! C’est pour un mariage ! »  Pas de soucis à se faire, les mariés; le papy remplissait toujours ses contrats. Sa première Aronde, il se l’est payé avec des farios, le vieux. Rien que pour te dire comme il était bon à ce jeu, un jour, il aperçoit du haut d’une falaise sur le Chassezac, une énorme truite. Mais alors…une bestiasse comme on n’en voit pas souvent. Elle était calée dans un gour impossible d’accès…pas pour Laur, mon pauvre. Tu sais ce qu’il a fait ? Le soir venu, il a tendu une solide corde entre les deux parois de la falaise et, le lendemain à l’aube il s’est accroché à cette corde, pendouillu au milieu du vide, avec bien sur, son fil de pêche et que je meure à l’instant si je te raconte des couilles, le papy Laur, il se l’est fait, le monstre !

Malgré son talent, c’était un type pas très causant, mon beau père. Il restait des heures, assis sur sa chaise sans ouvrir le bec et, quand enfin il daignait se relever il marmonnait  « Mes fesses, elles sont sans connaissance ». Il y a environ 2 ans, Laur nous a quitté magnifiquement. Figures-toi qu’à part le braconnage, le papy avait une autre passion : jouer aux boules. Ce jour là, c’était une rude partie contre les gars de Bagnols sur Cèze, des cadors ces zigotos. Fallait rudement s’appliquer. C’était à Laur de tirer. Au moment précis où sa boule a quitté sa vieille main, papy Laur a eu une attaque cardiaque et est mort sur le coup. Et le plus beau, mon ami, c’est qu’il a fait un carreau !

Elle est pas belle la mort ?image-173