READ IN ENGLISH Ce jeudi, c’est le grand jour de mon vernissage dans cette magnifique galerie de Portland. C’est aussi le jour où mon ami Spencer frappe à la porte de ma chambre à 6h00 du matin. Il fait encore noir quand son petit Cessna et nous à bord, prenons notre envol. Ce pays, l’Oregon sur la côte Ouest des États-Unis est plein de  magnifiques surprises. À peine une demi-heure après avoir quitté Portland et son incroyable végétation, nous survolons le haut désert et c’est à vous couper le souffle de beauté. Paysages à la John Ford, canyons vertigineux, tout est en place comme dans mes rêves. Et tout d’un coup, tout au fond j’aperçois la scintillante, la fameuse rivière secrète. Spencer m’a juré qu’il devait y avoir des steelheads dans les courants et il décide d’atterrir. « Quoi ? Mais il est où ton terrain d’atterrissage ? » Lui demandai-je, légèrement inquiet.

Don’t worry » il me fait en amorçant un virage acrobatique. Non mais sans blague, il va tout de même pas poser son zinc là-dessus, sur ce machin tout cabossé à peine plus long et large qu’une impasse !  Seigneur, il est fou ce type, il va nous tuer !  C’est juste devant un arbre et une barrière en barbelés que Spencer coupe le moteur. Quel sacré pilote ce mec !  Sans échanger un mot, nous déchargeons tout le matériel. Du fond de la carlingue, mon copain sort une canne à six brins pour une soie de cinq, tout juste bonne, me semble t’il, pour pêcher des chevesnes, canne qu’il me tend, sans l’ombre d’une ironie dans la voix « C’est pour toi mon ami, et voilà le moulinet qui va avec » me dit-il en me donnant un Pflueger Medalist datant au moins de la guerre des Gaules. «Des steelheads avec CA ? » lui fais-je. READ IN ENGLISH

« Oui, oui, tu vas bien t’amuser avec cette vieille Hardy. Mon père en a pris des tonnes de poisson avec ce machin. Tu as voir, c’est un joujou magnifique ! »

Après une demi-heure de marche à travers les sagebrush et les genevriers , Spencer me fait signe : this is it ! Et là, je dois avouer que même si je ne prends pas de poissons ( ce qui est ma coutume ) l’endroit est tellement incroyablement beau, tellement plus beau que toutes les photos sur papier glacé des magazines de pêche que j’ai presque envie de rester assis sur un caillou et ne plus bouger, me fondre avec cette nature, en devenir un petit morceau, oublier jusqu’à l’objet de ma présence ici.   « Fais attention où tu mets les mains » me dis Spencer « il y a des serpents à sonnette dans ces éboulis. Et la dernière fois que je suis venu dans ce canyon avec mon chien pour chasser les perdrix, on a croisé un cougar, a mountain lion. C’est Bumble, mon chien qui l’a fait fuir« .

Nous approchons de la rivière et montons nos cannes.  J’ouvre la boîte de mouches que mon ami m’a donné et, me voyant perplexe, il me rassure «Prend celle qui te plaît avant tout. Tu pêcheras mieux si tu l’aimes. Et s’il y a une steelhead qui a envie de mordre , elle attaquera n’importe quelle mouche bien présentée. »

Et nous commençons à pêcher méthodiquement. Spencer avec sa canne Spey. Si élégant mon ami, sans effort il envoie sa mouche plus de 40 m et moi, pauvre impotent, je peine avec cette Hardy antédiluvienne. Et puis,toc ! Quelqu’un a trouvé mon leurre à son goût.  Il ne s’agit seulement que d’un black bass ! Et un deuxième… Et un troisième…(J’ai dû tomber sur un nid !) J’ai quand même pas fait 4000 km pour sortir des black bass, nom d’un chien ! Et puis, plus une touche pendant deux longues heures.

« Faut qu’on décolle d’ici vers 14h00 si on veut être à l’heure à ton vernissage ! » me dit Spencer. À 1h45, il me montre du doigt un petit éboulis de caillasse et me dit : « Derrière le gros caillou, il y a un trou assez profond pour qu’un poisson y fasse la sieste.  C’est notre dernière chance !  » Et là,  ce coup ci, je m’applique comme jamais je ne me suis appliqué et, au milieu de la dérive, une grosse tirée. Là, c’est pas un black-bass, il n’y a aucun doute, c’est une steelhead qui a mordu et qui s’applique à torturer le pauvre moulinet et la canne qui n’en peut plus et mon petit coeur qui fait un bruit infernal. Et puis, soudainement, le poisson fait demi-tour et fonce en amont. Et tout d’un coup, calme plat; la ligne devient molle comme une vieille nouille. La plus belle chance de ma vie qui vient de s’envoler. J’en aurai chialé comme un gosse, je vous le jure, en enroulant cette saloperie de ligne flasque, quand, à ma grande stupeur  la voilà qui se retend , que je me mets à croire aux miracles, qu’ il y a un Dieu pour les frenchies  car le poisson est toujours au bout et redescend la rivière à fond la gomme…Dix minutes après, je peux enfin le prendre dans mes bras. Qu’il est magnifique ce poisson. Du rose, du bleu, du pourpre et de l’argent qui scintille au soleil du canyon. Il est ruisselant et moi aussi. Comme deux lutteurs de foire. Et lorsque je lui rends sa liberté, il n’y a certainement pas un homme plus heureux que moi sur la terre.

Et le soir, au vernissage de mon exposition, lorsque  des rares admirateurs me posent des questions sur ma peinture,  la seule chose que j’ai envie de leur dire est : « Aujourd’hui j’ai eu un rendez vous galant avec un poisson de huit livres . J’ai eu le coup de foudre, nous nous sommes aimé dans le lit de la rivière et je suis toujours amoureux de lui. »

It’s thursday, opening day of my art show in that magnificent gallery in Portland, OR. It’s also the day when my dear friend Spencer knocks at my door at 6 am. It’s still dark when his little “ Cessna” is taking off with us onboard. That country, Oregon on the west coast of the U.S., is packed with wonders. Not even a half hour after leaving Portland and its incredible vegetation, we are flying above the high desert and it’s breathtaking. John Ford kinda landscape with deep canyons; everything is right there in place like in my child’s dreams. And all of the sudden, I can spot that shiny secret river, down below. Spencer swears that steelheads should be fooling around in the rapids and he decides to land. “ What ? Where is the landing strip ? «  I asked with concern. “Don’t worry, Fleche!

Wait a minute! I hope he’s not thinking of landing his plane on THAT battered thing, as short as a cul-de-sac ! Fuck it..he’s gonna kill us !

It’s just before a big tree and a barbed wire fence that he stops the engine. What a pilot that guy ! We unload our gear and Spencer hands me a  6 piece rod good enough, I think, to fish little sardines. “ Take it, buddy! And here is the reel that goes with it !” he says, giving me an old Pflüger Medalist reel dating from the civil war. “Steelhead fishing with THAT ?” “ Yes yes ! you’ll have fun with that old Hardy rod. My father caught tons of fish with that marvelous toy !

After half an hour walking through sagebrush and juniper, Spencer  says  “this is it!” It was, I have to admit that even if I don’t catch fish (which for me is customary)  that spot is so incredibly gorgeous, so much more beautiful than all the photos in fishing magazines that I’m thinking of just sitting still on a rock, melting with that nature, looking like a bit of it and even forget  about the very object of our trip here.

Watch out where you put your hands, there are rattlesnakes around here. And the last time I came to hunt for partridges in these mountains, we encountered a mountain lion. Bumble, my dog , scared him.”

We got close to the river and set up our rods. I open the fly box and seeing me perplexed, my friend reassures me “ Take the one you like the most. You’ll fish better if you like it. And if a steelhead wants to strike, it will grab any well-presented fly.”

And here we started to fish methodically, Spencer with his Spey rod, so elegant and easy…he can cast his fly 40 meters effortlessly and me, poor helpless guy, I’m in pain with that antediluvian Hardy rod. And then..bang ! Someone found my fly tasty. It was only a black bass ! and another one!…and a third one ( did I hit a nest?) I didn’t travel over 4000 miles for black bass ! And then, no more strikes for two long hours.

We’ll have to take off from here around 2pm, if we want to be at your Art opening!” said Spencer. At 1:45 he points his finger to a big boulder :”Behind that rock, I bet there is a fish napping. It’s our last chance!”  I apply myself like I never did and, in the middle of the drift, a big pull. No doubt about this one. It’s not a bass, it’s a steelhead who struck and tortured the poor rod and poor reel and my poor heart. Suddenly, the fish makes a U turn and rushes upstream and then…it’s over. My line becomes limp like an old noodle. The best chance of my fishing life… gone. I could have cried like a kid, I swear, reeling in that fucking fly line ! But to my big astonishment it stretched again and I begun to believe in miracles and that there is a God for Frenchies ‘cause the fish is still hooked and rushes downstream. Ten minutes later I have the privilege to hold it in my arms. How magnificent he is ! Rosy shades, blue, purple and silver shining in the sun of the canyon. He is dripping and so am I, like two wrestlers. And when I release my fish, there is no happier man in the world. And that evening, at my opening, when collectors asked me questions about my paintings, the only thing I want to say is: « today, I had a date with an 8 pound fish. It was love at first sight… we made love in the river‘s bed and I’m still in love with her