La première fois que j’ai reçu cette lettre anonyme »  UN INDIVIDU DE LA RUE DES COURONNES,VOUS FAIT COCU 3 FOIS PAR SEMAINES « , j’ai tout de suite pensé à une blague d’un type qui se prenaient pour le fils de Mata Hari dans un film à la noix. Et puis, après la quatrième missive identique, j’ai commencé à flairer quelque chose de pas très catholique et, au lieu de me rendre au bureau, ce matin du 26 mars, je me suis planqué derrière le magasin de Salim, l’épicier arabe, juste en face de l’entrée de la maison .

C’est vers 9h30 qu’il est arrivé, l’ordure, l’Henri, tous gominé de frais. Il s’est extirpé de sa Peugeot 104, s’est regardé une dernière fois dans le rétroviseur, s’est collé une dernière giclée de spray « SENT BON DE LA GUEULE » et a pénétré par la porte cochère de l’immeuble.

Henri, c’était donc lui le salopard, mon cocufieur, moi, son ami depuis des années, moi qui lui offrais toutes les semaines à dîner que je cuisinai avec amour. L’amitié n’avait pas de prix. J’ouvrai les meilleures bouteilles de ma cave pour lui et sortais les serviettes brodées. Jamais de Sopalin pour Henri. Et maintenant, voilà que cette ordure se tapait ma femme !

Rapidement, une idée diabolique germa dans mon cerveau. J’allai l’inviter à la pêche (il adore ça) et lui faire son affaire à cet  enculé, lui trancherais la carotide avec mon couteau Suisse et irait dire aux flics qu’on s’était fait attaquer par des immigrés Roumains ou quelque chose.

Donc, le samedi suivant, nous étions tous les deux dans un coin isolé au bord du lac d’Enghien, le Henri bien installé sur son fauteuil pliant, chacun une canne à pêche posée sur un trépied afin d’avoir les mains libres pour les canette de Kronenbourg. Henri s’est roulé une cigarette avec du tabac « Caporal » . Ca puait, son truc que ça m’a donné envie de vomir, mais je n’avais vraiment qu’une idée fixe : lui faire la peau à cette crevure.

Au bout d’un moment, j’ai prétexté une envie de pisser,me suis levé et, doucement j’ai ouvert mon couteau en passant derrière Henri. Il allait le payer enfin!. J’allai le saigner comme un goret. C’est à ce moment qu’Henri poussa un cri : « Flèche, Flèche, putain de touche, mate un peu, ça c’est pas du gardon ! »

En effet, jetant un coup d’oeil au-dessus de son épaule, je pouvais apercevoir son bouchon qui se faisait la jaquette à toute vitesse.

 » Laisse le partir, espèce d’andouille, dis je à Henri. Ne tire pas comme ça, tu vas casser ta ligne… doucement, ne le bride pas… Ouais.., comme ça… Tout doux l’ami…fais gaffe, il va replonger. »

Au bout de 20 minutes, le poisson était dans mon épuisette. Une carpe énorme, belle au moins comme Monica Vitti. Toute luisante, avec des écailles grosses comme mon pouce. Des lueurs orangées, rose, dorées, violine. Un enchantement…

Lorsqu’on l’a remise à l’eau, on était drôlement heureux tous les deux. J’avais complètement oublié mon projet de meurtre et même mon cocufiage Nous riions comme des gamins et la Kronenbourg, je vous jure qu’on n’a pas lésiné dessus. Et puis, en fin d’après-midi, on a pris la route de « NOTRE  » maison.

C’est lorsque nous ouvrîmes la porte du salon que notre vie a changé. Jean-Claude, le commis boucher de la rue Piat était en train de besogner ma femme à même  la table. Son gros cul était à moitié couvert par son tablier sanguinolent de boucher et Aline poussait des cris de génisse. On se serait cru dans un tableau de Soutine. Jean-Claude nous a regardé d’un oeil torve en continuant de limer comme si nous n’étions que des vieilles merdes de chien.

Écoeurés, Henri et moi avons quitté ce théâtre infernal,  avons traversé la rue pour nous en jeter chez Raymond, au bistrot d’en face.

C’est quelques jours plus tard que nous avons pris la décision de nous mettre en ménage, Henri et moi, dans un deux-pièces, près de la porte de Bagnolet et, tous les week-ends nous allons pêcher ensemble au lac d’Enghien et nous nous la coulons douce.

De toute ma vie antérieure, je ne regrette qu’une seule chose: les serviettes brodées.