» Dieu que je suis content de te voir ! » Me dit l’abbé Ray Zinna en ouvrant la porte de son presbytère et une bonne  bouteille de son vin de messe privé ( Gigondas 2001 . Domaine Santa Duc. » Prestige des Hautes garrigues. »)

Il faut dire que Ray (Raymond pour les intimes) est un vieil ami d’adolescence , merveilleuse adolescence que nous passâmes trop vite dans notre beau village ardéchois de Beaulieu ( 07460) ou nous fûmes célèbres pour nos frasques multiples et expéditions d’archéologie féminine dans tous les bals du voisinage. Les succès de Raymond auprès des filles du département furent chantés jusqu’au fond de la Lozère. Il faut dire qu’il était beau comme un louis d’or mon ami et que les donzelles se retournaient plus d’une fois sur son passage. (Il avait la générosité de me refiler bien souvent ces conquêtes de deuxième ordre un peu comme on donne un os de poulet à ronger à son chien.)

Après deux grands verre de son merveilleux « Gigondas », nous nous assîmes confortablement et Raymond commença une histoire , histoire  que voici et qui ne cesse de me troubler :

« Tu dois savoir, cher Flèche, que pendant de nombreuses années, j’officiais dans le diocèse de Collioure, village où la pêche à l’anchois est une industrie florissante, presque une religion à elle toute seule. Un beau jour, je reçu une visite dans mon confessionnal d’un individu (appelons le Gaspard pour garder son anonymat) bien connu dans la région pour être un des meilleurs pêcheurs de ces  délicieux petits poissonnets. Le Gaspard, la voix cassée par l’émotion me tint ces propos.

-« Vous le savez certainement monsieur le curé, je suis un bon chrétien, n’ai jamais manqué une messe du dimanche et consulte mon missel plus souvent que Télérama. Aujourd’hui, je me trouve en plein désarroi.  Sans forfanterie , j’ai à mon actif de pêcheur, des succès colossaux (je viens même de payer à ma femme une nouvelle Clio diesel.) Jusqu’au jour d’avant-hier ou, en tirant mes filets chargés d’anchois, mon oeil fut attiré par une  de mes prises. Une  femelle, jeune, élégante, racée qui me regardait avec des yeux… mais des yeux… larmoyants, m’implorant de lui rendre la liberté car, me dit-elle, elle avait en charge sa vieille maman grabataire.

Là, je dois vous dire M. l’abbé que je fus touché au plus profond de mon être par l’ éloquente supplique et que, délicatement, je pris la petite anchois entre mes doigts et  lui rendit la liberté  accompagnée par une tonne et demie de ses congénères.

En l’espace d’un instant, ma décision fut prise . Jamais, au grand jamais, j’en fis le serment,  je ne sacrifierai plus la vie  d’un seul de ces malheureux animaux, même pour payer une bonne éducation à mes enfants  ou jouer au tiercé. Ma décision fut irrévocable je deviendrais végétarien. Et aujourd’hui, je me nourris exclusivement des produits de mon jardinet. Est-ce un péché, monsieur le curé ?

« Allez en paix mon fils ! »  C’est tout ce que je pu répondre à cet honnête homme.

Mais là où l’affaire se corse (comme le disait justement le regretté Tino Rossit) c’est que le Gaspard vint me voir la semaine dernière au confessionnal et m’annonça avec fièvre  et  tremblements: « Mon Dieu, protégez-moi, je viens d’assassiner une laitue de mon jardin ! »