C’est dans le milieu des années 80 que je fis sa rencontre pour la première fois. Il trônait en plein milieu de la rivière tel un maharadjah, entouré de trois superbes filles qui pataugeaient autour de lui. Une image assez jolie et en même temps complètement idiote- romantique à la noix, un peu comme une ces photos floues de David Hamilton qui faisaient se pâmer, lorsque j’étais jeune, les petites pucelles de banlieue. Entre deux éclats de rire, le type balançait sa mouche un peu au hasard dans le courant. Visiblement, sa technique était des plus primitive mais je crois qu’il n’en avait rien à faire, il était seulement content d’avoir les pieds dans l’eau dans laquelle batifolaient ces trois jeunes papillons dénudés.

Le spectacle était tellement étrange que je ne puis m’empêcher de me présenter « entre moucheurs  » et d’engager la conversation.

Et puis nous nous séparâmes en échangeant nos numéros de téléphone. Ce fut ma première erreur, car le « Roger  L.», à partir de ce moment, ne me lâcha plus la grappe.

Je ne veux surtout pas dire que notre amitié fus un cauchemar immédiat. Non ! Roger n’était pas un mauvais bougre mais il est vrai que chaque fois qu’il ouvrait son bec, j’étais rapidement pris de frissons et n’avait qu’une envie : me trouver rapidement à des kilomètres de lui. Le nombre de bêtises qu’ils pouvaient émettre  à la minute, lui aurait valu à coup sûr un article dans le » Guiness book of record « , à la rubrique « gros con ». Pour vous donner un des exemples les plus notables, un soir, il nous invita à dîner ma femme et moi et, va savoir pourquoi, la conversation s’engagea sur le sujet : « L’histoire du jazz ».

Immédiatement, Roger nous assomma, comme ça, sans prévenir : « Le jazz, affirma t-il, sans l’ombre d’un sourire, fut inventé par des blancs. Les noirs n’ont fait que copier ! » ( Là, il était tellement excité que de la mousse blanche se formait à la commissure de ses lèvres, vision particulièrement répugnante , surtout à table !)

Ma femme me regarda en haussant légèrement les épaules ce qui signifiait : « Tu crois qu’il est sérieux où il est encore plus con qu’il en a l’air ? »

Je lui répondis en levant les yeux au plafond, ce qui veut dire : « T’inquiète..ce type est tout simplement taré , c’est bientôt l’heure de lever le camp ! »

Depuis ce soir-là, d’ailleurs, nous lui collâmes en douce le sobriquet de « Monsieur jazz blanc »

Et pour ce qui est de la pêche, le lascar, pour sûr, était un fanatique. N’importe quelle pêche. Au coup, au lancer, à la mouche. En fait, la pêche à la mouche, il n’y connaissait absolument rien et, lorsque mon compère Pascal lui donna les premiers rudiments de cette technique, le lendemain, » jazz blanc » non seulement avait ouvert une école de pêche à la mouche ( authentique ! ) mais en plus prétendait donner de leçons au Pascal qui n’en est toujours pas revenu. Il était comme ça l’animal. Ajoutons au tableau que l’ idée du  » no kill », fallait pas lui en parler et si aujourd’hui les fameuses grosses perches qui abondaient dans la rivière, ne sont plus qu’un lointain souvenir, nous le devons à « jazz blanc » et à ses seaux remplis à raz bord de ces magnifiques poissons.

Et puis, l’année dernière, sans prévenir, « jazz blanc » a cassé sa pipe. Comme ça : paf ! Plus de « jazz blanc ».

Et là, je dois vous avouer une chose qu’encore aujourd’hui j’ai du mal à expliquer. Souvent, quand je me retrouve au bord de la rivière, tout seul, à patauger, eh bien, vous ne me croirez pas, mais « jazz blanc » me manque.

Drôle de truc que l’amitié, non ?