Ca faisait maintenant deux bonnes semaines qu’il pleuvait à torrents, nuit et jour et même parfois entre les deux ! Tellement humide, que du gazon fou avait envahi jusqu’à notre chambre à coucher. Moi, je voulais inonder tout ça au  » Roundup « . Ma femme, étant contre, j’ai dû passer la tondeuse sur la moquette couverte d’herbes folles et également sur le plafond, épreuve périlleuse et astreignante.

Pour ce qui était de la pêche, vous pensez bien que l’entreprise était vouée à l’échec. Ma rivière, si calme et bucolique d’habitude, avait aujourd’hui des allures de torrent déchaîné, charriant les troncs d’arbres énormes et autres animaux noyés qui venaient se coincer sous les piles des ponts. Paysage d’une grande désolation, je ne vous le fais pas dire !

Attendre patiemment la décrue, très peu pour moi. Aussi, je pris la route sans tarder afin de rendre une visite de courtoisie à mon ami de Marseille, Renée Deux-Tonnerres.

Que je vous explique rapidement.

Vers la fin du XIXe siècle, Buffalo Bill et son Wild West Show décidèrent de conquérir l’Europe et leur tournée passa par Marseille. Ce Wild West Show était une sorte de suite de tableaux vivants retraçant avec fantaisie et très peu de vérité historique la légende de la conquête de l’Ouest américain. Bill Hickock « Buffalo Bill » en était bien sûr la vedette (on n’est jamais si bien servi que par soi-même.) Il avait embarqué pour l’occasion nombre de « sauvages guerriers peaux rouges » dont le rôle était bien entendu celui des « méchants traitres ».

Il se trouve, qu’à Marseille, fatigués de jouer aux cons, bon nombre de ces  » sauvages  » coupèrent leurs amarres et disparurent dans la nature.

Des années passèrent, pendant lesquelles on pouvait fréquemment voir des « guerriers Sioux » , torses nus en plein hiver, descendre nonchalamment la Canebière (absolument authentique !)

L’arrière-grand-père de mon ami Deux tonnerres ( Two Thunders ) fut un de ceux-là, pris femme et créa une petite famille de métis  » Marseillais -Sioux « .

Lorsque j’arrivais chez mon ami René, dans sa petite villa de la banlieue nord, il m’accueillit les bras ouverts et m’amena sans plus tarder derrière sa maison dans une espèce de jardinet où le bougre avaient planté un teepee. Non, pas un teepee en peau de bisons joliment décorés. Non, plutôt un teepee type  » Trigano » en tissus bariolés. À l’intérieur, il sortit d’une sacoche un calumet ressemblant vaguement à un calumet de la paix traditionnel qu’il bourra de » kinnikinnick », sorte de tabac indien qu’un lointain cousin du  Wisconsin lui avait fait parvenir.

Moi, qui avait cessé de fumer depuis des lustres, mon estomac n’en mena pas large avec cette cochonnerie et lorsque nous quittâmes le tepee, j’avais les jambes plus que cotonneuses.

« Bon, mon ami Flèche, ta mine verdâtre demande un peu d’air frais, il me semble. Ca te dirait d’aller pêcher une bonne bouillabaisse pour célébrer nos retrouvailles ? »

S’il est une chose que je ne refuse jamais, c’est bien une partie de pêche. Aussi, une petite heure après, le  » pointu » de René « Deux tonnerres », baptisé  » Fuck Custer  » jetait son ancre au large de l’île du Frioul et , sans plus tarder, nous nous mîmes à l’ouvrage.

Lorsque trois bonnes heures après, nous rejoignîmes la terre ferme, notre panier ne contenait que trois girelles de taille moyenne et deux rouqiers faméliques.

Honteusement, nous fîmes une halte au « Casino » ou nous achetâmes deux boîtes de soupe de poissons  » Marius Bernard « .

Finalement, les poissons de la Méditerranée c’est un peu comme les bisons des grandes plaines américaines. Peau de balles et balais de crin !.

Tout fout le camp, mes pauvres. Tout fout le camp !