Ce jour la, lorsque j’ai éteint le moteur de mon bus au bord de la rivière, j’étais loin de penser que ma vie allait prendre un tournant aussi raide.

« Bon, Flèche, demain tu emmènes pour leur pique-nique annuel les petits vieux de la maison de retraite de Barjac « Les pins penchés. ». Tu conduiras le car SAVIEM, le bleu, et tu ramèneras tout ce beau monde à leur domicile vers 18h00. OK ? » m’ordonna le patron de la compagnie.

Une bonne trentaine, qu’ils étaient ces petits vieux, sortant lentement du véhicule .  Certains avec des béquilles, d’autres boitant comme des chevaux de course qui auraient loupé l’obstacle.

Tous rigolaient comme des mioches en déroulant la nappe et en installant les chaises pliantes sur le gazon surplombant la rivière. Le soleil était de la partie et la journée s’annonçait rudement bien.

C’est Fernand qui a annoncé la couleur avec son accent de Belleville et ses moustaches frétillantes à la Noël Roquevaire.

-Bon, les hommes ! C’est pas tout ça mais va falloir s’activer un peu le fion  et préparer les gaules parce que, les sandwiches de la maison de retraite, y peuvent toujours se les foutre  au trou de balle.  Je donnerai ma main à couper que cette rivière regorge de gardons, ablettes et de goujons. Putain, une bonne friture de goujons, les mecs, ça se refuse pas ! Allez les zouaves, tous en piste ! »

En deux coups les gros, les cannes à pêche furent montées et une bonne dizaine de vieillards tendus surveillaient déjà leur bouchon.

« Faut amorcer au maïs ! » Affirma Léon, un gars du Périgord.

« Non !, répliqua Fernand, le chènevis ! Il n’y a que ça »

« Chènevis mon cul ! » dit Robert.  » Moi j’utilise depuis tout gosse l’appât Dudule.  » Avec Dudule, le poisson pullule ! »  C’est écrit sur le sachet, et c’est la vérité vraie ! »

« Tiens… Un goujon… Le premier de la série… C’est parti mon kiki… on va s’en mettre plein le gosier, je vous dis que ça ! »

Et c’est vrai que, sur le coup de midi, après l’apéro, une odeur de friture avait envahi le campement. Ils m’avaient invité au festin bien sûr et je dois vous dire que ce repas, fut un avant-goût du paradis. Les petits poissons même pas vidés (« Faut tout bouffer là-dedans, les tripes, ça donne un goût sauvage ». avait affirmé Brigitte, la veuve du buraliste de Bessas.)

À peine avions-nous fini les boîtes de poire au sirop comme dessert, que la vieille Hélène poussa un cri :

« Bordel de merde, il y a une bête qui me pique le dos… Aidez moi, Putain ! » dit-elle en se tortillant de droite à gauche.

C’est le Jean-Louis, qui en a profité le premier et ouvert toutes grandes les portes de Sodome  et Gomorrhe en se précipitant sur Hélène , tentant, malgré ses cris d’oiseaux, d’enlever les frusques à la pauvre vieille. En vérité, les cris  d’oiseaux se transformèrent rapidement en gloussements de perruches en rut et, le Jean-Louis retrouva subitement une verdeur adolescente.

Moi, je voulais pas regarder, par pudeur et pour pas déranger. Sauf que le 11° et le soleil aidant, un bon quart d’heure après ce premier épisode, toute la colonie forniquait comme des chiens en chaleur et ce n’était que des HA ! des OUMF ! des Holà ! des Aïe aïe aïe, tu me fais mal, grand fou !

Une orgie de cette amplitude, même le grand Bruegel aurait eu du mal à l’imaginer. Ce n’étaient que jupes froissés, soutiens-gorge accrochés aux branches, assiettes renversée, vieux tétons à l’air, jambes maigrichonnes, fesses ridées, bref, une scène d’une beauté et d’une force extravagante .

Quant à la sieste générale qui s’ensuivit, les cigales et les grillons s’étaient tus afin de ne pas déranger . Watteau et Boucher en aurait pâlis d’envie. Il ne manquait, en accompagnement de fond, que quelques notes de clavecin et de viole de Gambe pour parfaire la scène.

Lorsqu’ils se réveillèrent, les petits vieux étaient dans une forme olympique mais je voyais bien que quelque chose les chiffonnait.

C’est Raoul qui prit la parole et, se raclant la gorge, s’adressa à moi.

– » Flèche, on a quelque chose à te dire de très important. Bon, alors voilà… On a décidé de ne pas retourner à l’hospice des «Pins penchés « . C’est tout. On veut pas crever à regarder la télévision de merde et bouffer  des trucs que même les clébards, y z’en voudraient pas. Alors, si tu acceptais de nous aider et de nous conduire vers le sud, ce serait rudement sympathique de ta part. »

Comment résister à telle prière pleine de bon sens ? C’est la raison pour laquelle, après une halte au casino de Monte-Carlo, ou Brigitte gagna de quoi payer le champagne à toute l’équipe, je vous écris cette lettre de l’île de Capri, en Italie. Nous campons sur la plage et les vrais hommes sont en train de pêcher la friture de ce soir.

Le coucher de soleil est splendide et la vie est merveilleuse.