Il arrivait du Luxembourg pour pêcher. Moi, je débarquais de Brooklyn pour faire la même chose. Le type avait une sacrée bonne bouille de vieux rigolard. Des yeux pétillants et une tignasse blanche sentant l’anarchie du bien heureux citoyen qui n’avait que du mépris pour les marchands de peigne. Et bien sûr, entre anarchistes, nous avons sympathisé immédiatement.

« Vois tu, commença-t-il, il y a quelques années, j’avais un merveilleux compagnon de pêche. C’était mon beau-père. Il habitait au bord de la rivière à la frontière entre l’Allemagne et le Luxembourg. Eh bien, quand il a passé l’arme à gauche, je me suis retrouvé quasi- orphelin. Plus personne a qui raconter mes histoires de pêche. Et la pêche, tu en sais quelque chose, ce ne sont que des merveilleuses histoires à raconter ! Ma femme, elle s’en fout de mes histoires de pêche. Quelle misère !

« Comme c’est vrai ce que tu me racontes la, j’en ai presque la larme à l’oeil. Tiens, si tu as deux minutes, il me revient en mémoire une bien curieuse historiette qui m’est arrivée à la fin du printemps dernier.

Figure-toi que j’étais, comme tous les jours, au bord de la rivière, quand tout à coup, je me rends compte que j’avais bien abusé la veille des cerises de l’arbre de mon voisin. Mais comme elles étaient bonnes ces cerises ! Impossible de m’arrêter d’en manger. Chaque année, c’est la même chose. L’automne arrive et je ne cesse de me répéter : « Pauvre couillon, encore une année de passée et tu n’as pas assez mangé de cerises, pas assez de fraises, pas assez d’abricots et de pêches etc. Je suis comme ça.. un faible. Les beaux fruits de l’Ardèche, je m’en ferais péter l’estomac.

Malheureusement, l’excès, c’est ma politique et comme je le paye cher ! Et ce jour-là, j’ai dû cesser illico la pêche et cavaler dans les buissons avoisinants pour me vider les boyaux. Alors, tiens-toi bien…j’étais tout occupé à me concentrer, accroupis dans cette clairière, lorsque j’entends une voix : « Ah ! Mais bon sang, voilà encore un paroissien comme moi qui a bouffé trop de cerises ! »

En me redressant un peu, j’aperçois là, à quelques mètres, dans un autre buisson, la tête d’un type qui visiblement était occupé à la même chose que moi.

Et, afin de rendre le moment plus convivial, nous engageâmes la conversation :

« Vous êtes pêcheur ? »

« Enfin, j’essaye ! Vous aussi ? »

« Moi, pareil. Vous pêchez à quoi ? »

« À la mouche. »

« A la mouche ? Ah ça, j’aimerais bien essayer, mais c’est un Art , paraît il. Faudrait que quelqu’un me montre mais, à mon âge… !

À ce moment, nous entendîmes une voix venant d’un autre fourré.

« Moi aussi les cerises …! Dieu, quelles sont bonnes cette année les cerises. Impossible de s’arrêter …enfin, si vous voulez un coup de main pour apprendre la pêche à la mouche, moi, je veux bien vous en enseigner les rudiments… »

Et cette conversation digne de Rabelais dura un merveilleux moment, accompagné par de somptueux pets sauvages et de toute une ribambelle de musiques intestinales que le regretté Stravinsky en aurait été surement jaloux.

-« Alors mon ami luxembourgeois que dis-tu de ça ? Allez, rassure-toi, les belles histoires de pêche il n’y a qu’à se baisser pour en ramasser à la pelle…un peu comme les cerises de l’arbre de mon voisin et les compagnons a qui les raconter, les fourrés en sont pleins! «