Lorsque je débarquais en ce beau jour de printemps dans le charmant village de Cagnes-sur-Mer, mon premier réflexe fut d’aller saluer mon vieil ami Auguste Renoir

il m’accueillit comme d’habitude avec force sourires , accolades et une délicieuse et fraîche bouteilles de rosé de Tavel que nous dégustâmes à l’ombre de la tonnelle du superbe jardin de sa propriété des Collettes.

Quand la divine bouteille fut à sec, le père Auguste se pencha vers moi et de sa voix chevrotante me dit :

« Dis-moi, mon Flèchounet, ça te dirait d’aller pêcher en mer de quoi préparer une soupe de poissons et, qui sait, si la chance s’en mêle d’y ajouter deux belles rascasses afin d’améliorer le festin ? »

« Mon cher ami , répondit- je sans hésiter, c’est avec honneur et plaisir que je serai ton moussaillon ! »

Une demi-heure plus tard, nous étions tous les deux à quelques encablures de la côte et je jettais l’ancre.

« Mais dis-moi Auguste, avec tes doigts perclus d’arthritisme, comment vas-tu faire pour tenir ta canne à pêche ? »

« Voyons, cher Fléche, tu n’est pas sans savoir que Gabrielle, mon amour de petite cousine, tous les matins, dans mon atelier, m’attache les pinceaux et les brosses à la main à l’aide de bandelettes. Tu pourrais en faire autant avec la canne à pêche, non ? »

Sitôt dit, sitôt fait et nous voilà tous les deux à attendre les touches venant des abysses et, comme ça tardait à venir, les discussions allèrent bon train.

« Dis-moi, Auguste, j’aimerai que tu me racontes encore une fois l’histoire de ce tableau que tu as peins dans ta jeunesse… tu sais, « la grenouillère ». Je ne m’en lasse pas de cette histoire, ni de ce merveilleux chefs-d’oeuvre ».

Renoir se racla la gorge, s’installa bien calé à l’ombre de l’auvent et commença: « Et bien mon ami, à cette époque bénie des dieux, sur les bords de Seine des bistrots, des dancings et autres guinguettes, ça ne manquait pas . Tout le monde venait s’encanailler dans ces paradis au bord de l’eau. Il y avait des orphéons, on n’y dansait comme des fous, les petites femmes avec des accroche-coeur aguichants n’étaient pas timides, et courir le guilledou faisait souvent parti du voyage.

J’avais donc invité des amis de l’époque à poser pour moi pour ce tableau « la grenouillère ». Il y avait Caillebotte, Monet et tellement d’autres et je te prie de croire qu’on a bien rigolé… après la pause, évidemment un parce que pendant le travail, c’était du sérieux ! On causait peinture, littérature, la pêche, les bonnes femmes…un peu comme vous au Mouching…Putain de blog ! J’en manque pas une miette ! Et puis, on pêchait dans le fleuve. À cette époque, il y avait du poisson, tu peux me croire et c’était du poisson propre ! Les fritures de gardons, d’ablettes et autres goujons, c’était divin. Pas comme aujourd’hui où ils sentent le mazout et toutes les saloperies chimiques. Un vrai égout !. Quelle honte !

Et puis, les années passèrent . Mes tableaux se vendaient comme des petits pains et ma femme comptait les sous comme une véritable Harpagon et m’ obligeait à peindre des trucs aimables, mollassons et insipides parce que c’était ce genre de trucs que les bourgeois voulaient accrocher sur les murs de leurs salons. Quelle tristesse ! Qu’est-ce que je rêvais du bon vieux temps de la  » grenouillère ».

Puis, au bout de quelques minutes de rêverie le Père Renoir repris.

« Dis-moi, Flèche, si on se cassait de cette Côte d’Azur de merde..Aller, on met les voiles… Cap au sud ! Il ne me reste que quelques années à vivre et je veux m’amuser !

C’est la raison, chers lecteur du Mouching de l’envoi de cette missive venue des côtes de Mauritanie ou nous avons échoué et ou Renoir s’est fait construire un superbe atelier dans lequel il peint avec délectation les horreurs de toiles couvertes de rayures noires qu’il signe  » Bernard Buffet »

Son arthrite des doigts a disparue comme par enchantement et nous pêchons régulièrement des bouillabaisses monstrueuses quand ces saloperies de bateaux de pêche usine, venus de Chine nous foutent momentanément la paix.