Se faire inviter à dîner par Marvin Chase en personne est certainement un événement dans la vie d’un pêcheur. Même un médiocre comme moi.

Il faut dire que le père Marvin était un sacré personnage ; certainement le meilleur pêcheur upstate New York où j’habitais à l’époque.

En tous les cas, le plus volubile. Un conteur d’histoires sans égal et, ce soir-là, je priais le seigneur des pêcheurs pour que Marvin me fasse cadeau d’ au moins une de ses histoires. Et comme un fourbe, je l’appâtai de la façon qui suit.

«Ah Marvin, la pêche… La pêche… Si tu savais le nombre de fois où je suis revenu bredouille où j’ai laissé partir des poissons qui me priaient de les laisser mordre à mes mouches. Combien de fois je me suis fait l’effet d’être le plus mauvais pêcheur de la terre. Combien de fois j’ai eu l’envie de briser ma canne à pêche et d’en faire des cure-dents ! »

Marvin nous resservit un grand verre de ce sublime scotch Glenlivet, alluma un cigare et prit la parole.

« Flèche, mon ami, laisse moi te raconter une anecdote. C’était… Il y a bien longtemps de ça… Un magnifique printemps pour la pêche au saumon en Écosse que c’était ! Et, avec quatre de mes amis new-yorkais, nous avions loué un château dans la vallée de la Spey, la haute vallée.

Bon. Ça nous avait coûté une petite fortune ce putain de château avec de surcroit la location de deux Jeep et deux guides, mais, on s’en foutait. Cette rivière était et est toujours mythique et, tremper sa soie là-dedans faisait parti de nos rêves les plus tenaces.

Tu t’en rend comptes ? Une semaine de pêche au saumon sur la Spey ?? C’est un peu comme de dire qu’on va passer une semaine dans le lit de la Brigitte Bardot des années 60 et Claudia Cardinale en prime !

Et maintenant, tiens-toi bien.

Le séjour était quasiment fini et aucun de nous n’avions pris  le moindre saumon. Que dalle ! Pas une touche.

Et pourtant je te prie de croire qu’on avait tout essayé. Des techniques les plus rares, les mouches les plus variés,des Jock Scott, des Dee Special, des Green King. Nos guides en transpiraient de rage. Rien, rien, rien.

Et le dernier soir, penauds, nous remontions dans les jeep, direction le château. Et qu’est-ce qu’on voit sur le chemin ? Je te le donne en mille. Une putain de loutre.

Bon, d’accord. Ce n’est pas exceptionnel en soi, mais là où ça fait mal c’est que l’animal portait dans ses mâchoires un saumon énorme. Et là je peux te dire qu’on n’a pas eu à échanger une parole et qu’on s’est mis à la courser la saloperie de loutre ! En Jeep et à pied ! On courait après en waders ! Tant et si bien que la loutre s’est enfuie, apeurée, nous laissant son saumon. Enfin, on en tenait un ! OK c’était peut être pas très légal, mais merde, on n’en avait rien à secouer…on revenait avec un saumon.

Ce soir-là, lorsque nous avons amené le poisson au cuistot du château, et que nous avons prétendu avoir pêché ce monstre, le cuisinier nous a regardé d’un oeil amusé et a pointé du doigt les flancs de la bête ou étaient bien visibles, les traces des mâchoires de la loutre.

Parle moi d’avoir l’air con !