Le Mouching, fly fishing, épaveLe jour de sa retraite, mon père se précipita chez un marchand de bateaux et remplaça sur-le-champ son vieux rafiot pourri contre un nouveau, flambant neuf.
Moi, j’étais ravi car l’objet de son choix avait un mat et donc je pensais, naïvement, pouvoir m’initier à la voile. La voile ? Mon père ne l’a jamais sorti de sa boîte. Le moteur étant le seul moyen de locomotion pour aller à la pêche. Point ! Pas de discussions.
Son nouveau bateau n’était pas de grand luxe. Un peu plus de 5 m de longs morceaux de contreplaqué, couvert par une petite cabine riquiqui destinée à nous protéger des orages de la fin Aout sur la Méditerranée.Le mouching, fly fishing , nouveau
Il fallait se plier pour entrer dans cet habitacle qui sentait le mazout, mais, mon grand-père qui avait fait le voyage spécial Amiens-Golfe-Juan pour inspecter la barcasse avait sérieusement jugé la bête : « Alfred (c’était le prénom de mon père) je vois que tu as rompu avec la lutte des classes, car tu viens d’acheter un Yacht ! ».
Mon grand-père était un imbécile de première qualité et, dès qu’il ouvrait sa bouche et se gratter la verrue qu’il avait sur le nez, ne pouvaient sortir de son gosier d’alcoolique, que des conneries plus grosses que lui.
Mais mon père était vacciné et les bêtises du Gustave, il s’en tamponnait.
Aussi, tous les matins, quand le mistral nous en donnait la permission, Alfred me réveillait vers six heures.
– Allez, grouille-toi, on lève l’ancre dans 10 minutes. Je connais un nouveau coin de pêche, un fameux ! Tu vas voir ce que tu vas voir… Des bestiaux, il n’y a que ça !
Mon père, tous les jours que Dieu faisait, revêtait la belle panoplie du parfait homme de bureau qu’il était. Un impeccable costume trois pièces, une cravate grise ou bleue nuit et s’aspergeait d’after-shave « Mennen. ». Le seul changement vestimentaire, quand il allait à la pêche, était une casquette style « loup de mer » qui protégeait sa calvitie contre les coups de soleil. La force de l’habitude sans doute…Le mouching, fly fishing, loup de mer
On se tapait un café sur le bord de la table de la cuisine, mon père allumait sa première cigarette  » Caporal « roulée main et nous partions en direction du port.
Le démarrage du moteur « Couach diesel » était pour moi toujours un ravissement. Le son en était inimitable et la fumée grisâtre qui me faisait tousser, un prélude au bonheur à venir.
Après avoir navigué une bonne demi-heure, mon père coupait le moteur.
– Vas z’y, tu peux jeter l’ancre. C’est là, le bon coin.
Et nous nous mettions à dévider les mètres de fil de nylon de la palangrotte ou deux morceaux de bernard-l’hermite, accrochés aux hameçons, faisaient office de petit déjeuner pour tous poissons normalement constitués.
En général, après une demi-heure sans la moindre touche, mon père m’annonçait :
– Remonte l’ancre !. Je crois qu’on a du dériver. Le bon coin est un peu plus haut, à 200 m plus au large. J’en donnerai ma main à couper.
Je me mettais alors à l’ouvrage, tirant comme un bœuf cette satané ancre accrochée à plus de 150 m de fond. Elle me donnait l’impression de peser une tonne et je soufflais comme une bête de somme et mes bras me brûlaient et le soleil me cuisait le dos. Mais ces misères , alors que j’étais à peine adolescent, me donnaient l’impression d’être une espèce de héros, un homme, un vrai , un dur, qui allait étonner et séduire toutes les gonzesses à la rentrée avec ma fabuleuse musculature.MINOLTA DIGITAL CAMERA
Lorsque, vers midi, nous retournions au port avec nos 10 malheureuses «  girelles « à peine adultes, ma généreuse mère poussait des cris de joie.
– Mon Dieu qu’ils sont beaux ces poissons. Qu’est ce qu’on va se régaler !.
Elle vidait alors une demi-bouteille d’huile dans une poêle, y versait notre misérable pêche et allumait l’ignoble réchaud électrique.
Pas besoin de vous faire un dessin. Ce que nous devions « déguster » ressemblait et avait le goût de petites éponges gorgées d’huile tiède. (Ma mère n’était pas douée pour les fritures.) Mais nous ne nous plaignons jamais, tellement elle était gentille et voulait nous faire plaisir malgré ses handicaps culinaires.
Le lendemain matin, mon père me réveillait vers six heures.
– Lève-toi, fainéant. Aujourd’hui, je le sens, on va faire un malheur !
Il rajustait alors sa cravate, enfilait son veston et, à peine sorti, je suis certain que ma mère courait au supermarché acheter une nouvelle bouteille d’huile.
la classe !

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