Impossible de résister à ce western de John Williams quand je l’ai vu la première fois. Vous ai-je déjà dit à quel point le bison me fascine ? Si j’avais un ranch, j’aurais des bisons. Pourtant ce roman ne leur réserve pas un sort des plus agréables. Il s’agit ici sans doute de l’une de ces dernières chasses où quelques hommes blancs tuent à eux seuls plusieurs milliers de tête. Leur obsession ? L’argent avec la revente des peaux, mais le western de John Williams va beaucoup plus loin.

butchers-crossingDans les années 1870, le jeune Will, originaire de Boston, a décidé de quitter le confort de sa vie bourgeoise et la faculté d’Harvard pour tenter la grande aventure dans l’Ouest sauvage. Le jeune homme traverse une crise existentielle et est persuadé que seul l’Ouest, et la nature sauvage peuvent redonner un sens à sa vie morne. Après de longues semaines de voyage, il débarque à Butcher’s Crossing – une petite bourgade du Kansas – composée d’une unique rue,  où un saloon, un hôtel, une droguerie et un barbier se font face. La petite ville ne s’anime qu’à l’automne quand la chasse peut commencer, elle attire alors toutes sortes d’hommes venus chercher fortune et occupe les quelques prostituées du saloon.

Will va alors voir un revendeur de peaux de bisons – l’homme ne chasse plus mais il rachète les peaux de bisons et les revends, se faisant au passage une belle marge. Celui-ci lui donne le nom d’un chasseur, Miller, qui rêve de mener une expédition depuis dix ans mais qui n’a pas l’argent nécessaire. L’homme a un secret : il est le seul à savoir où se trouve l’un derniers gros troupeaux de bisons au Kansas, caché dans une vallée méconnue des Rocheuses, dans le Colorado.

Lorsque que Will lui propose de financer cette expédition en échange de sa participation, l’homme accepte. Accompagné de son fidèle Charley Hoge, le chef de camp, alcoolique mais pieux, Miller est fou de joie. Il engage Fred Schneider, l’écorcheur de peau. Charley et lui sont inquiets : il faut absolument partir avant l’arrivée des premières neiges car les Rocheuses connaissent des tempêtes de neige très violentes, et Charley a déjà perdu une main lors d’une expédition précédente. Miller leur promet que tout va bien se passer. Après avoir acheté le ravitaillement, les bœufs pour la charrue, le vin, la poudre et les armes, les hommes prennent la route. Avant son départ, Will a croisé la route de l’une des prostituées, mais le jeune homme de bonne famille s’est défilé alors qu’elle lui offrait une escapade gratuite. Une femme de mauvaise vie, lui répète le vieux Charley qui ne jure que par la Bible.

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Le voyage commence lentement, Miller ayant oublié une partie de la route et le voyage tourne au cauchemar lorsque les hommes ne trouvent plus un seul point d’eau – seule boisson : un tord-boyau (du whisky) qui fait voir des hallucinations à Will. Alors que les bœufs et les chevaux sont à la limite de la mort, Miller finit par retrouver son chemin et sauve l’expédition de justesse. Le convoi repart et magie  la vallée promise fait son apparition – avec en son sein, des milliers de têtes de bison. Le paradis sur terre, enfin le croient-ils tous ….

Will rencontre enfin l’animal mythique et accompagne Miller lors de leur premier jour de chasse. Mais Miller qui rêvait de cet instant depuis des années est peu à peu pris d’une folie meurtrière… L’hiver approche mais Miller ne veut rien entendre, il ne cesse de repousser la date de départ….Puis un jour, les premiers flocons de neige tombent sur la vallée et les hommes comprennent qu’ils sont piégés…

Le roman de John Williams, publié en 1960, démystifie le mythe de l’Ouest sauvage – cette chasse au bison traduit une soif de sang qui n’a aucun sens – on ne peut s’empêcher à penser qu’elle a mené à l’extinction de l’espèce de bison vivant sur ces plaines (le bison sera réintroduit des années plus tard, né d’un mélange d’une espèce canadienne mélangée au bison européen) et en parallèle, on pense aussi à la disparition du mode de vie des indiens des Plaines. Un double génocide.

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Si j’avais peu d’affection pour ces chasseurs au début de ma lecture, leur mésaventure va les rendre faillibles, humains et au final plus aimables. Lorsque la violence de la nature s’acharne sur eux à plusieurs reprises, c’est avec un lyrisme magnifique de l’auteur. Il maîtrise son roman de bout en bout – j’aime sa retenue, sa sobriété – « une prose simple et élégante » nous dit Bret Easton Ellis mais qui vous frappe droit au cœur. Un western crépusculaire magnifique.

John Williams est décédé en 1994, à l’âge de 72 ans. Il fut longtemps professeur à Denver. Auteur de recueil de poésies, il a publié quatre romans : Nothing but the night, Augustus et Stoner en 1965 – roman que j’ai longtemps souhaité lire. Puis il est tombé dans l’oubli pendant près de 40 longues années.

Puis Anna Galvada a traduit Stoner – publié en 2011 et Jessica Shapiro a traduit magistralement ce western pour les éditions Piranha.

 Éditions Piranha, Butcher’s crossing, trad. Jessica Shapiro , 304 pages