Cher Monsieur Français.
Je lis souvent votre revue, avec fort intérêt,
et plus spécialement votre rubrique si élégamment illustrée sur les histoires narrées par vos lecteurs…
Je me permet donc de vous écrire car j’ai moi même une histoire
assez burlesque à vous raconter.
Peut-être celle-ci éveillera-t-elle l’imagination d’un de vos célèbres illustrateurs,
Monsieur Oli Person ou encore Monsieur Flechemuller.

Nous habitons, ma femme et moi, en Chalosse, à Pomarez exactement, et comme vous n’êtes pas sans le savoir, la Chalosse est au foie Gras, ce que l’Ardèche est à la châtaigne, le Rouergue à l’aligot, ou encore le chameau à son bédouin, indissociables l’un de l’autre.
Mais au-delà des associations faciles et des idées reçues, dont certains auront vite fait le raccourcit, je voulais plus précisément vous dire que La Chalosse est surtout au foie-gras ce qu’Epernay est au Champagne ou Kétama au haschich, c’est à dire ce que les anglais appellent, non pas communément mais avec exception: un Must !
Donc, ma femme Robert, et moi-même habitons cette belle région du Must, coincé entre les landes et le pays basque, là où les canards vivent épanouis et sereins, et je dis les canards et non pas les oies, Monsieur Français, car parler de foie-gras d’oie ici, c’est comme parler de Blanquette de Limoux à Reims, ou de PSG à Marseille ! 
Vous ne voulez pas d’ennuis ? Vous ne vous y risquez pas !
Revenons à nos canards. 
Nos canards, élevés avec amour, aux bons grains de maïs et autres céréales du Gers, ou des Landes nos voisins. 
Nos canards qui gambadent dans la campagne, sous le beau soleil du Sud-Ouest, à l’abri des pins, nos canards qui respirent le bon air que leur apporte l’Atlantique si proche, quand ce n’est pas celui des  Pyrénées. Nos canards que nous aimons, nos fils, notre famille.
Parmi ces canards, il y en a un plus particulièrement qui a toutes les attentions de ma femme Robert, il s’agit de Saturnin.
Tout les matins, Robert sort dans la cour pour fumer sa Gitane après son café et ma petite gâterie. Là, il traîne, vêtu de sa blouse que je lui ai acheté aux “Dames de France” d’un joli “bleu pétrole”, qu’avant on appelait “bleu Roi” ou encore “bleu de France”…
Ainsi, tous les matins Robert fume sa Gitane et sort Kiki, notre chien fidèle, pour qu’il fasse ses besoins et s’ébroue dans la campagne comme nous autres les humains, ferions des étirements après une nuit de sommeil.
Kiki c’est un peu notre enfant, car comme vous l’ignorez Robert et moi n’arrivons pas a en avoir, et ce depuis plus de trente ans de vie commune…
Notre Kiki est à notre image, un chien calme, fidèle, aimant les autres animaux, jamais il ne se plaint, jamais un aboiement plus fort que l’autre… toujours heureux de la moindre promenade, de la moindre sortie, joueur, sautant sur nos genoux à la moindre occasion, toujours l’œil vif et le fouet battant, notre Kiki !
Jusqu’au jour de la Saint Narcisse, le patron du village, qui est l’occasion pour notre petit bourg de Chalosse de nous retrouver tous autour d’un apéro communal, puis dans la salle paroissiale, ou bien quand le temps le permet dans la cour de l’école des sœurs, de nous réunir à nouveau pour le déjeuner du village avec en général de beaux foies-gras, suivis de confits de canards aux pommes de terres sautées à la graisse (de canard, hein ! pas d’oie !) puis d’un gâteau Basque et ensuite de prendre le chemin du Stade où nous jouons un match amical contre le club de Layanoux.
Nous emmenons toujours notre Kiki avec nous ! Ça on peut dire qu’il aime le Rugby, notre Kiki, il ne rate pas un match et même à la télévision il se met sur son pouf pour regarder le Top 14 comme le tournois des 6 Nations !
Ce jour là, nous avions fait un match historique, 32 à 7 !  Nous étions devant les vestiaires à attendre les joueurs pour les féliciter, quand Kiki, sans doutes excité par le bruit des crampons sur le carrelage et l’odeur si particulière des joueurs après l’effort, nous fausse compagnie et s’engouffre dans les vestiaires. Il en est ressortit une demi-heure plus tard, penaud.
Depuis ce jour notre Kiki n’était plus le même, il avait perdu l’appétit, plus rien ne l’amusait.
Nous sommes même aller voir Monsieur Fardillac à Ballentaur-les-Eaux, celui là même qui avait enlevé le zona de mademoiselle Lacroix, il a regardé Kiki et nous a dit qu’il n’y comprenait rien. Nous étions dépités.
Jusqu’au jour où nous nous installâmes sur le canapé, Robert et moi, pour regarder à la tévé le match Biarritz contre Bourgoin Jallieu, Kiki sur son pouf, comme à son habitude suivit le match avec intérêt et aboya même plusieurs fois pour fêter la victoire du club de Biarritz !
A peine le match terminé que notre Kiki, sautait en l’air, aboyait partout, courrait dans tous les sens ! 
Nous avions retrouvé notre Kiki !! 
Que c’était-il passé ? Nous n’en savons rien. Mais dès que nous avons ouvert la porte de la cour, Kiki est parti comme une fusée vers le parc aux canards, Robert et moi-même avions beau  lui courir après, rien n’y fit, nous ne pouvions l’arrêter. 
Il se précipita sur Saturnin, le chef des canards et ce dont nous fûmes témoins se passe de tous commentaires… Et nous ne dirons mots, sans doute Kiki a-t il eu un choc psychologique, comme nous l’avons vu expliquer à l’émission de Mireille Dumas, l’autres soir. Il a peut-être exorcisé une scène qu’il a vécu ou vu dans les vestiaires de garçons du club ce soir de match… nous ne voulons pas savoir, ce qui est important c’est que nous ayons retrouvé notre Kiki. Sa fougue, sa vivacité, son regard expressif qui en dit bien plus que bien plus d’un seul battement d’œil que bien des humains en de long discours…

 

Bien à vous, 
Francis Astoul, Robert Prigex et le chien Kiki, éleveurs à Pomarez.

CK