Il faisait chaud cet après-midi, chaud comme seuls les après-midi de Novembre peuvent l’être dans le sud de l’état. Mimie Biglow était passée un peu plus tôt avec Norah. Après avoir bu un thé glacé sous la véranda,  nous avions toujours aussi chaud et l’air était trop épais pour nous rafraîchir. Mimie se leva, avec difficulté, du rocking chair et se dirigea vers sa voiture. Sans se retourner, d’un geste de la main elle nous appela : « let’s go fishing ! ». C’était pour nous un ordre et quelques secondes plus tard nous dévalions les marches en bois et nous précipitions dans la voiture en riant aux éclats. Norah était prête à tout depuis que Marc l’avait quitté pour Louise, la vendeuse de chez Hamley’s, et la moindre distraction la sortait de sa tristesse, aussi à peine Mimie avait-elle démarré la voiture que Norah sortie de son sac une fiole de bourbon ayant appartenue à son père. La cigarette au bec, regardant défiler le paysage par la fenêtre.image-37 Je fermais les yeux et le soleil qui filait derrière les arbres m’éclairait comme une lampe de foire, j’alternais bouffée de cigarette et gorgée de bourbon. J’aimais sentir le liquide chaud qui piquait la langue et qui brûlait la gorge, tout en étant doux comme du sirop de caramel. Les filles chantaient des airs de blues, et Norah ne pouvait retenir ses larmes, alors que Mimie de sa voix d’ange, nous arrachait les tripes.

Nous avons quitté la route et traversé une longue prairie dans un nuage de poussière jusqu’à ce que nous arrivions au bord de l’eau, matérialisé par un rideau d’arbre, dont la cime dansait mollement dans le ciel trop bleu. On avait garé la voiture à l’ombre, pas loin d’une autre caisse garée sous les arbres elle aussi. Les portes ouvertes, on était resté là, à fumer, à boire, à parler des mecs qui étaient finalement tous des salauds et on leur souhaitait d’attraper toutes les pires maladies dans les bordels de la  Nouvelle Orléans où ils n’auraient qu’à se perdre.

Puis Mimie a décidé qu’il était temps d’y aller, alors on a titubé jusqu’au coffre d’où on a sorti des cannes à mouche et, entre deux clopes et les dernières rasades, on a essayé de monter nos bas de lignes et nos mouches…

Norah, avait du mal a faire ses nœuds, il fallait qu’elle se concentre, ferme un œil, tire la langue, essaye de viser pour faire passer le fil dans l’hameçon, pour finalement se retrouver par terre à quatre patte à chercher sa mouche qu’elle avait fait tomber. Pourtant nos mouches c’était pas des trucs à ablettes, c’était des énormes pompons fait pour les truites grosses comme des cuisses, des imitations de souris, grenouilles, vairons, toutes en plumes et en marabout !

On était prêtes !

Mimie, avant d’aller vers la rivière, jeta un coup d’œil à la voiture garée derrière nous. Elle revint d’un pas rapde, posa sa canne contre le coffre et en sorti un fusil à pompe dont elle se servait pour les rats musqués. Nous la regardions marcher d’un pas assuré vers l’autre voiture, nos cannes sur l’épaule, il faisait chaud et lourd, l’air était épais, je sentais la sueur couler dans mon dos, quelques moucherons voletaient au dessus de la tête de Norah.

Tout semblât aller comme au ralenti.  La porte de la voiture s’ouvrit, à notre surprise Marc, l’ancien fiancé de Norah, en sortit à moitié nu, tendant désespérément la main en avant comme pour se protéger alors que de l’autre il retenait son pantalon qui lui tombait sur les genoux. A côté sur le siège, Louise se redressa, à peine sortie de son sommeil, ne semblant rien comprendre à ce qui se passait. Mimie tira une fois, la main et la figure de Marc disparurent dans un nuage rouge, puis un autre coup de fusil eu raison de Louise qui rebondit sur son siège en s’écroulant sur elle même. Des oiseaux décampèrent à tire d’ailes.

Le silence qui suivit fut retentissant, 

Nous étions bouche bée. Norah, les yeux grands ouverts, n’en revenait pas, elle en laissa tomber sa canne. Je ne pu dire que “Putain ! “. Arrivée à notre hauteur, Mimie troqua son fusil pour sa canne et prit le chemin de la rivière en murmurant « Connard ! ».

Nous avons pêché jusqu’à la nuit, des truites vives et fuselées, nous étions heureuses, après tout c’était la Toussaint.

ck