C’était dans les années 80.

On habitait, ma femme et moi, dans une maison en ruine, dans l’Etat de New York, en haut à gauche sur la carte.

Nous y menions une vie d’ermite, en pleine forêt, au bord de cette magnifique Roundout creek, à vingt minutes en canoë de nos premiers voisins, un vieux couple d’Anglais, les Tetlow.

Des dollars, nous n’en avions guère, mais le bonheur s’en tapait les couilles, du pognon.

On passait le plus clair du temps, à poil, à rafistoler la baraque avec du chewing-gum, à peindre des grands tableaux invendables , à baiser comme des lapins et à piquer des épis de maïs dans le champ en face de la maison, de l’autre côté de la rivière.

Et puis, un soir, sur cette cochonnerie de rivière, se passe un truc qui me laisse comme deux ronds de flancs. La surface de l’eau se met à bouillir, mais bouillir des bulles d’argent. Comme si un Dieu bourré à mort agiterait des bouts de papier d’emballage de chocolat sur la flotte.

En vérité cet effet troublant n’était pas l’œuvre du démon, mais de milliers de petits poissons, du genre ablettes, sautant littéralement hors de l’eau pour se gaver de trucs innommables et microscopiques, genre crottes de nez.

Une friture de ces petits poissons argentés pourrait certainement améliorer l’ordinaire, certes, mais comment s’y prendre pour les capturer, ces trucs là ?

Lorsque nous avions aménagé dans notre masure, j’avais déniché dans le grenier une vieille boîte contenant tout un fourbi  de matériel   de pêche. Un tas de trucs rouillés, de fils emmêlés, de plumes bouffées aux mites et une petite boîte de minuscules hameçons qui, je pensais, devaient faire l’affaire pour assurer la friture et je commençais tant bien que mal, la confection de la mouche miracle.

La manière dont je procédais aurait provoqué une attaque cardiaque a bon nombre de puristes du montage de mouches.

Pour tout dire, la méthode employée consistait à emberlificoter du fil noir provenant d’une de mes vieille chaussette autour de la hampe de l’hameçon et…c’était tout !

Et, l’incroyable, c’était que ca marchait du feu de Dieu.

Les ablettes se jetaient là-dessus comme un Harpagon sur une cassette remplie de Louis d’or, et, en deux coups les gros, mon panier fut rempli.

Telle fut ma joie, que je sortis de la poche de mon short, l’unique billet de un dollars en ma possession, que j’en fit une boule que je jetais a l’eau et, comme un chanceux quittant la table de la roulette au casino de Monte Carlo, je lançais d’une voix assurée:

 » Pour le personnel ! « 

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