« Couper le rapport de l’Homme à la nature va généraliser une pathologie et un malaise dans la civilisation ».

                                   Sigmund Freud 

 

Que pourrions-nous écrire aujourd’hui sur le « No kill » qui n’ait déjà été écrit et commenté des milliers de fois? Au lieu de parler de l’intérêt que cela représente pour le poisson, qui est généralement admis, nous pourrions peut être souligner l’intérêt psychologique que représente la « graciation » pour le pêcheur? 

Pour les chasseurs-cueilleurs que nous sommes, ce simple geste représente une rupture radicale avec une tradition de plusieurs centaines de milliers d’années. C’est rompre avec une peur séculaire de manquer, demain, de nourriture. Relâcher aujourd’hui, c’est avant tout un geste généreux et une révolution face à « l’utilité de l’action ». Libéré de tout esprit de lucre et de rentabilité, le pêcheur ne pêche plus que pour le plaisir du jeu. Il tourne le dos à une pêche productiviste. Les conversations entre adeptes changent du tout au tout. Nous ne nous remboursons plus le permis, nous ne remplissons plus les quotas autorisés, nous ne mesurons plus nos prises en jurant pour un demi centimètre qu’il manque « pour faire la maille ». Si notre vie professionnelle nous oblige à la rentabilité, l’oublier à la pêche c’est la liberté. Beaumarchais disait qu’il n’y a de beauté que dans ce qui est inutile. Mais il n’est jamais facile de rompre avec un système qui gère entièrement notre vie.

 clip_image002Le logo « Catch and Release » de la Wild Trout Trust (GB) 

 

 

Le No Kill, c’est évidemment sauver la vie de notre partenaire. D’adversaire le poisson devient compagnon. A son corps défendant, bien sûr, car lui, il continue de souffrir, ce que nous ne devons jamais oublier. La bonne conscience du relâcher a une limite : les souffrances que nous imposons aux poissons. Le stress d’être accroché, de ne plus coordonner ses mouvements et de se rapprocher inexorablement et à bout de force vers son ennemi mortel, peut tuer. Il paraît qu’une truite Fario trompée de trop nombreuses fois, arrêterait de se nourrir. Les parcours No Kill doivent être étendus sur de longues distances pour éviter que le poisson ne soit massacré par de trop nombreuses captures. 
Enfin, le No Kill, comme l’entretien des cours d’eau, est la philosophie qui manquait à la pêche à la mouche pour entrer dans la modernité avec un vrai souci écologique.

En terme de gestion pure. Certains pêcheurs pensent, et très certainement avec raison, que notre rôle de prédateur ne peut être totalement effacé de l’action de pêche au risque d’y perdre son âme. Qu’une truite de temps en temps, savourée parmi les siens est l’essence même de notre présence dans la chaîne alimentaire. Les Américains ont trouvé une solution qui semble donner les meilleurs résultats : Ne prélever que deux poissons, en relâchant systématiquement et « immediately », c’est ce que précise le permis, tout poisson se situant dans une fourchette de taille entre 30 et 50 centimètres afin de laisser dans la rivière les meilleurs géniteurs. Des rivières subissant une pression de pêche extrêmement importante, possède malgré tout, aujourd’hui, une population de salmonidés à faire pâlir n’importe quel de nos gestionnaires. Un exemple à méditer sûrement.

clip_image004

A sa sortie de prison, Gustave Courbet se réfugie dans son havre de paix à Ornans. La famille Ordinaire l’invite à passer quelques jours à Maizières. Là , les fils de cette famille capturent, à la ligne, des truites extraordinaires. Courbet est un passionné de chasse, très au fait de tout ce qui touche la nature sauvage. Il écrit à un de ses amis « … neuf livres, des truites énormes pour cette rivière » et dans une autre lettre « … il faut que je me dépêche de peindre cette commande de truites, ils verront ce qu’est la prison » . Car Courbet dans cette nature morte exprimera  sa  propre détresse et son désespoir. Dans un autre courrier il explique : « … que de maux depuis vous, que de tourments, que de souffrances, que de fois j’ai échappé à la mort et aux mains de ces cannibales ! ils m’ont entraîné la chaîne aux mains dans les rues, ils m’ont enfermé dans les cachots, etc..,etc.., impossible de tout dire ». Le fil qui dépasse de la gueule de la truite est cette même chaîne qui le fit tant souffrir. Ces truites ont perdu toute beauté dans la souffrance et la mort, il ne reste que des corps flasques, ternes et obscurs Sur ce tableau, il existe trois, le poisson est encore vivant mais sa vie s’échappe lentement de ses ouïes sanguinolentes.


 Corr. De Courbet 1996 p.526 (Lettre N°77-S, à Whistler, La-Four-de-Preilz, 14 février 1877).

Juan Miquel Touron