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Depuis des siècles et des siècles, d’innombrables auteurs se sont penchés sur la pêche à la mouche d’espèces aussi multiples que la truite commune et sa cousine la truite de bocal, le black-bass, la morue, le tarpon des mers tièdes, sans oublier l’épinoche et même la moule de Bouchot. Pour une raison que la  science feint d’ignorer, rien, jusqu’à ce jour n’a été écrit sur la pêche à la mouche de l’anchois. C’est là une grave injustice, qu’humblement, je vais tenter de réparer. Un peu d’histoire pour débuter.

Paraphrasant mon Maître Alexandre Vialatte, j’affirme que l’anchois remonte à la plus haute antiquité. Des explorateurs chanceux ont d’ailleurs déniché dans des sarcophages de la vallée des Rois, des bocaux encore pleins d’anchois momifiés à la manière des crocodiles du Nil, ce qui laisse  à penser qu’à cette époque reculée, l’anchois devait être promu au rang divin.

Certains hiéroglyphes racontent même que la regrettée reine Nefertiti, se délectait tous les matins d’anchois à l’ail en guise de breakfast, ce qui, d’après ces amants romains, lui donnait une haleine assassine.

Passons rapidement sur l’histoire du sois-disant Roi de la Renaissance Anchois Pommier. Cela ressemble plus à une farce qu’à une vérité historique et, arrivons à notre époque, car il faut faire court comme me le rappelle toujours le comité de lecture du Mouching.

Aujourd’hui, et c’est ça qui nous importe finalement,  certaines personnes aventureuses, dont votre serviteur, se sont mise en tête de capturer les anchois à l’aide de mouches artificielles, cœur de cet exposé. Grand nombre de pêcheurs dubitatifs vont s’insurger, prétendre la chose impossible, faire la moue, de grimaces de singes et dire des âneries. Laissons les pourrir, la gueule la première, dans leur ignorance. Non seulement c’est parfaitement faisable, mais, de surcroît cette pêche procure des joies intenses. Mais, me direz-vous, quelle mouche utiliser ? Là encore une fois, la logique est la réponse. De quoi se nourrit l’anchois ? De plancton, bien sûr ! Et bien,  pas besoin de chercher midi à quatorze heures, la réponse la voilà. Une simple mouche imitant le plancton fera l’affaire. Il est exacte que la reproduction réaliste sur la hampe de l’hameçon numéro 42, des pattes, antennes, et gros yeux du plancton n’est pas chose aisée, demande patience et « savoir faire » mais le succès est au bout de l’effort. 

Vient ensuite la technique de pêche proprement dite. Comme toujours, l’approche est essentielle. Une marche silencieuse sur la plage est capitale. Tel un indien Comanche il vous faudra souvent ramper plutôt que de courir sur la grève et profiter de la présence des rochers pour vous dissimuler aux yeux de lynx des anchois du bord des océans. Le rocher est essentiel. Il m’arrive fréquemment d’en embarquer un ou deux sur mon esquif pour me rendre invisible lorsque je vais traquer l’anchois en pleine mer. Cela fait souvent la différence entre succès et bredouille. Il suffit ensuite de s’approcher doucement du banc sur lequel les anchois se reposent ou devisent et de leur lancer avec adresse l’imitation trompeuse de plancton. Vous aurez alors la surprise de constater comme ces poissons sont gourmands, goulus et jouent avec votre leurre avant de l’engloutir comme de grands enfants. N’oubliez pas, cependant, d’écraser les ardillons de vos mouches avant la partie de pêche car, comme le prêchent avec justesse certains spécialistes, il est impératif de relâcher vos rêves. Et là, vous constaterez, comme je le fais régulièrement, à quel point l’anchois vous sera reconnaissant pour votre bonté. Les larmes aux yeux, la petite famille de l’imprudent affamé, viendra vous remercier. Car, maintenant il est grand temps de le dire: comme le dauphin, le chimpanzé, le loriot et l’escargot, l’anchois est un être doué de raison. La preuve ? Je vais vous la livrer tout de suite.

Pas plus tard que la semaine dernière, à fin de vérifier mes hypothèses hardies, je fis halte dans le charmant village de Collioures et poussait la porte du célèbre magasin Roque, en face du port. Les étagères de cet établissement sont couvertes du sol au plafond de tubes, boites, bocaux remplis de cadavres d’anchois; un véritable cimetière d’anchois. J’achetais avec répulsion une boite de ces pauvres bêtes raides mortes, allongées, serrées les unes contre les autres dans un jus à base d’huile d’olive et, embarquait illico sur mon fidèle « Haricot de mouton », ma barque favorite. À quelques encablures, j’aperçu un banc couvert d’anchois faisant la sieste (il était 13h). Avec délicatesse, je jetai dans la mer la honteuse petit boite, emplie de victimes de chez Roque. Les anchois réveillés par le « plouf », se précipitèrent pour guider la boite précautionneusement vers le fond sablonneux. Et là, avec recueillement, je les vis se mettre à genoux autour du cercueil et entonner une mélopée qui parlait de multiplication de pain et de poissons.

Qui aura l’audace, après ça, de prétendre que l’anchois n’a pas une âme Chrétienne ?anchois-roque2