[ READ IN ENGLISH] La journée avait remarquablement bien commencé. La  gâterie que ma belle femme m’avait donné juste avant les croissants au beurre du petit déjeuner avait été royale et ma moto m’avait conduit presque toute seule au bord de la rivière. La température était parfaite . Nul besoin d’enfiler des waders laids comme les bottes des vidangeurs de l’enfer. C’était la saison bénie des shorts et des chemisettes ; ma saison favorite ou on va à la pêche en civil. Pas en uniforme de pêcheurs. Et là, à la confluence de la Ligne et de l’Ardèche, j’étais le Pape dans l’eau. Pas ou peu de poissons? Qu’importe. Qu’est ce j’en avais à foutre des poissons ! . Le niveau d’eau parfait. La rivière coulait doucement entre mes jambes, me léchant gentiment les couilles, ce qui me met régulièrement d’une humeur solaire. C’est vers 11h30 que les premiers canoës-kayaks montrent généralement le bout de leurs museaux. Ça commence par des cris sourds venant de derrière la grande courbe en amont. Et puis, ces cris deviennent plus audibles et puis ça y est, on peut voir les premiers esquifs. De toutes les couleurs fluorescentes du monde entier. Je sais, nombreux sont ceux qui trouvent ça déplacé dans le magnifique environnement qui est celui de nos chères rivières. Obscènes, vulgaires, à chier. La plupart du temps, j’acquiesse comme un lâche que je suis car, pour dire vrai, je trouve plutôt ça festif et et tous ces gens qui s’amusent me rendraient plutôt heureux.Le bonheur, c’est communicatif, sauf… qu’il y a un truc qui me fait perdre patience dans ce tableau idyllique couvert de guimauve que je viens de vous brosser. C’est qu’à chaque fois qu’un canoë arrive à ma hauteur,  infailliblement je dois me farcir : « Alors, Monsieur, ça mord aujourd’hui ? » Ou bien : « Qu’est-ce que vous pêchez dans cette rivière ? » Ou alors « Ca se mange les poissons d’ici ? » Tous les lieux communs du monde s’y donnent rendez vous. Et moi, les lieux communs c’est comme les puces sur un chien. Ca me rend dingue.

Tant que je peux, j’essaie d’être poli. Rarement, je réponds des trucs du genre : « Ouais, ça mordait avant que vous n’arriviez, espèce de ( censuré ) ! » Je suis patient jusqu’à ce fameux fameux matin où, après avoir  répondu sagement à une bonne cinquantaine de touristes, je me suis dis que les bonnes choses ont une fin et que j’ai intérêt  à trouver une  solution draconienne à cette nouvelle plaie d’Egypte  au alors, je remballe mes affaires et je fais la gueule à ma femme et ma chienne pour le restant de la journée. Et soudainement, la fée des pêcheurs (une sacrée salope, entre nous !) me touche le sommet du crâne de sa baguette magique. Le canoë suivant s’arrête derrière moi : « Et qu’est-ce que vous pêchez monsieur? » me demande le type

« Des escalopes panées ! » Je lui réponds, en imitant une de ces fameuses horribles grimaces qu’Harpo Marx, mon héros,  faisait quand il chassait les belles blondes..-

_Qu’est-ce qu’il a dit le monsieur ? Demande le gamin qui accompagnait le  pauvre homme Furtivement, l’embarcation s’éloigne de moi et j’entends celui-ci, à voix basse répondre : « Rien, rien d’intéressant, aller…on a du chemin à faire; ne perdons pas notre temps !

Après des années de torture, je venais enfin de trouver la solution, une solution pleine de joie et d’infinies possibilités d’inventions frénétiques.  Et pendant le reste de la matinée, j’ai pris  un immense plaisir, je l’avoue, a foutre la trouille aux pauvres touristes avec des réponses les plus baroques et improbables possibles à leurs saloperies de questions.

« C’est bon à manger les poissons cette rivière ? »

_Extincteur, cher Monsieur. Extincteur !

Lorsque je suis rentré à la maison, je devais avoir les yeux un peu trop fous injectés de bonheur, car ma petite chienne qui d’habitude m’accueille en jappant de joie  s’est cachée sous la table, la queue entre les jambes.

The day was off to good start. The special treat that my wife gave me in the morning, then our breakfast of hot buttery croissants was absolutely royal. My motorcycle practically drove itself to the river. The temperature was perfect. No need to get decked out in my waders, ugly like the boots of grape-pickers from hell. It was the season blessed for shorts and tea shirts, my favorite season when one can fish in street clothes; no need for the uniform of the fisherman. There, at the confluence of the Ligne and the Ardeche, I was the Pope of the river. A few, or no fish at all? I could care less. The level of the water was perfect. The river ran gently between my legs, tenderly licking my balls, something that always puts me in a sunny humor.

It’s around 11:30 that the first canoes and kayaks generally manifest the points of their noses. It starts with muffled cries just behind the big curve upstream. Then the cries become more audible and finally there they are, you see the first skiffs. They arrive in every imaginable fluorescent color in the world. I know that a great number of people find it out of place in this magnificent setting: obscene, vulgar, offensive. Most of the time I agree, like the coward that I am; but if the truth be known, I find it quite festive and all these guys happy and having fun makes me feel good. Happiness is communicative, except… there’s one thing that makes me loose patience in this beautiful, corny picture that I have painted. It’s that everytime a canoe arrives near me, unfailingly, I have to put up with the same: “Hey mister, are they biting today?” Or: “What kind of fish are in the river?” Or yet again: “Can you eat the fish from this river?” A mass of clichés, it’s like fleas on a dog. It drives me crazy.

As much as I can, I try to be polite. Rarely do I say something like: “Yes, they were biting before you showed up you little ****!” I am truly patient… until that famous morning, or was it an afternoon, that after calmly responding to a good 50 tourists, I told myself that all good things come to an end and it was in my interest to find a ruthless solution to this new plague of Egypt. That, or I would have to pack up my things and be foul to may wife and my dog for the rest of the day.

Suddenly, the fairy of fishermen (between the two of us, a sacred slut) touched the top of my head with her magic wand. The next canoe stopped behind me and the guy asked:  “What are you fishing for mister?”

“Breaded veal cutlets!” I said, imitating the famous, horrible grimace that Harpo Marx (my hero) made when he was chasing gorgeous blondes.

“What did that man say?” asked the boy with the poor man; as the canoe slipped away I heard him reply: “Nothing, nothing interesting. Let’s get going, we have a long way to go and no time to loose.”

After years of this torture, I finally found the solution; a joyful solution with infinite possibilities of rapturous invention. So, for the rest of the morning I took enormous pleasure, I swear, in scaring the shit out of the poor tourists with the most baroque and improbable responses to their dumb questions. “Can you eat the fish from this river mister?” “Fire extinguisher, Sir, fire extinguisher!”

When I returned home I must have had a look of crazed joy because my little dog, who usually greets me barking with delight, hid himself under the table with his tail between his legs.