A cette époque, c’était il y a bien longtemps, j’avais des cheveux en ce temps-là, le petit  village de Puerto Escondido, tout en bas du Mexique, sur la côte pacifique, était un petit rien du tout fréquenté uniquement par une poignée de surfeurs blonds et de deux pêcheurs, mon ami Ethan W. et moi-même.

Le Ethan est mon plus vieux et meilleur copain new-yorkais,  un type incroyable et délicieux qui passe le plus clair de son temps à peaufiner les blagues qu’il va pouvoir vous faire, un pêcheur aussi médiocre que moi, bref, le compagnon idéal.

Par ce beau jour de novembre, nous nous trouvions sur une barcasse guidée par le Senor Guillermo . Bon ; un petit mot  en vitesse sur Guillermo : parfait petit macho mexicain grandes dents au sens propre et figuré, musclé comme un Apollon et ambitieux comme… je ne sais pas quoi.

Nous avions quitté  le village de Puerto Escondido tôt ce matin en direction de l’”AZUL”, tout au loin, là où le Pacifique prend sa couleur foncée et où les marlins, sailfish et autres thons se disputent le territoire. Ethan et moi étions sagement assis de part et d’autre du petit esquif, chacun muni d’une grosse canne,  traînant loin derrière des leurres aux couleurs riches comme des trésors de pirates. On avait bien sûr un peu mal à la tête, chose naturelle après la quantité astronomique de tequila que nous avions ingurgité la veille. Malgré ça, Ethan arrivait à inventer des histoires tordantes et  tous les deux étions aux anges.

Ce type de pêche à la traîne ne m’emballait guère (une vraie pêche de beauf’ ! ) mais les quelques petits thons que nous avions capturés étaient prometteurs d’un dîner pantagruélique partagé par nos épouses à notre retour.

Et tout d’un coup, ma canne donne des signes infaillibles que quelqu’un d’importance sonne à la porte. Et c’est à ce moment que les ennuis débutèrent.

Pendant 1h30 je suis resté accroché à ce poisson d’une force bien supérieure à celle de Charles Rigoulot le célèbre catcheur de ma jeunesse. Chaque fois que je lui prenais péniblement 10 m de ligne, lui, l’assassin à l’autre bout, n’en prenait 20 m. Bon, d’accord, je ne suis pas Arnold Schwarzenegger  ( ça se saurait!) Mais je ne suis quand même pas une mauviette et en plus, je suis tenace, obstiné et teigneux comme une gale . A la fin, je dois avouer que j’en avais plein les bonbons de ce poisson à telle enseigne que, tout meurtri par ce combat inégal, je tendis la canne à Guillermo : ” Vas y, amigo! Moi, je suis en arrêt maladie ! ». Il faut dire que les harnais de pêche, là-bas, à cette époque, ils ne connaissaient pas et que cette saleté de canne, à force de me rentrer dans l’estomac sous la pression du poisson, avait creusé un joli petite trou. Bon, d’accord, pas très profond mais suffisant pour que ma chemise s’ornemente d’une grande fleur rouge.

Guillermo s’empara de la maudite canne, banda ses muscles, tira comme un boeuf et, au bout de trois minutes me rendit cette saleté en me disant : « Tuna grande…TUNA GRANDE !!” . Je l’aurais tué, le Guillermo !

Une bonne demi-heure après, le” tuna grande” étaient amené à bord et moi, j’étais plus mort que le poisson qui nous avait, pendant deux bonnes heures, tiré si loin qu’on ne distinguait plus la côte mexicaine.

De retour au port, une foule énorme nous attendait, certainement  inquiétée par notre grand retard. Guillermo,  le héros du jour, fit magnanimement cadeaux aux villageois de MON thon ( l’ enfoiré !) signe visible qu’il était , de loin, le meilleur guide du bled. ( Nous apprîmes plus tard que ce poisson était le plus gros thon pêché à la ligne dans cette région.)

j’aurais bien aimé faire la peau à notre guide mais Ethan m’en dissuada. Il est vrai que nous étions minoritaires et seulement armés, à cette époque, d’un Opinel .

C’est  peu de temps après que nous décidâmes à l’unanimité de déclarer la guerre au Mexique, d’abandonner la tequila  et de suivre les  conseils du bon docteur Sautel ( 07 Lablachère ) : Côtes-du-Rhône, matin , midi et soir.