La première fois que je rencontrais Henri, c’était dans la station de métro  » Spring street  » dans le sud de Manhattan et, ce jour-là, je ne suis pas près de l’oublier.

Comme tous les beaux jours du printemps, je me rendais au fameux lac le  » Harlem Meer « , tout en haut de Central Park, là ou les perches soleil et les jeunes filles abondent (lire sans plus attendre la merveilleuse histoire « Harlem Meer  » publié il y a déjà  quelque temps dans Le Mouching .)

Visiblement il se passait des choses peu banales dans cette station de métro. Jugez- en par vous-même.

Ce type, Henri, était le clou du spectacle. Prenant des poses de torero Andalou, il tenait son manteau à la main comme une muleta et, le corps bien cambré sur le bord du quai, attendait de pied ferme la nouvelle rame. Lorsque celle-ci apparut enfin, telle un taureau à la sortie du toril, Henri exécuta une superbe « veronica », évitant de justesse le monstre rugissant.

Puis, il ôta sa casquette de base-ball et salua la foule comme l’aurait fait un Manolete ou un Paco Camino a la Plaza de Toros de Madrid.

Le public de la station avait retenu son souffle et hésitait un peu entre : « Espèce de connards »ou  » Olé ! « . Les applaudissements crépitèrent  enfin et, Henri, le front ceint de nouveaux lauriers se mit à genoux, attendant la nouvelle rame, malgré la voix dans le haut-parleur qui disait fermement : « Veuillez s’il vous plaît vous reculer, le métro va arriver dans la station ! ».

Lorsque Henri voulu exécuter sa nouvelle passe, son manteau s’accrocha malencontreusement dans les phares avant du métro et disparut rapidement sous les roues du bolide.

Le pauvre Henri était au désespoir. Il voulait même descendre sur la voie afin de récupérer les restes déchiquetés de son vêtement. Nous l’en empêchâmes, malgré ses larmes de douleur.

– » Mon manteau… Mon beau manteau-hurlait- il comme une pleureuse sicilienne-tout ce que je possède se trouve dans les poches. Mon permis de conduire, mon pauvre argent et surtout les clés de mon appartement. Comment vais-je faire pour rentrer chez moi ?.

Vous n’êtes pas sans savoir, chers lecteurs, à quel point mon coeur est sensible à la douleur de mes semblables. Aussi, aidant Henri a se relever, je lui proposai de venir chez moi attendre un peu que les gros nuages du destin ne se dissipent.

Jusqu’à ce jour où, je lui annonçai que le week-end suivant, j’avais l’intention de faire une virée à Montauk, à la pointe extrême de Long Island où, semblait-il, des nuées de thons Albacore mettaient la mer en ébullition et, qu’une de ces satanées bestioles sur une canne à mouche, c’était un fameux sport.

Il était clair que cette annonce mettait la cervelle d’Henri également en ébullition. Après quelques minutes de silence, il me demanda : « Cher ami, mon sauveur. Aurais-je l’audace de vous emprunter votre matériel pour faire des mouches ? Je crois avoir une idée formidable.

« Mais faites donc, lui dis-je en sortant le tiroir rempli de fourbi de montage de mouches.

Henri s’enferma alors dans sa chambre, en ressortit peu de temps après et me tint ces propos.

« A la question « où trouve-t-on la plus grande concentration de thon au monde ? La réponse est sans équivoque : dans les boîtes de conserve, n’est-ce pas ?. Donc à quoi doit ressembler la mouche fatale ?. Je ne vous le fais pas dire : à une boîte de thon, c’est la logique même. »

Et, tel un président de la république dévoilant une statue le représentant devant ses concitoyens, Henri me laissa admirer sa dernière invention.

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hameçon : 03. Montage de l’imitation réalisée en poils de cervidés peints à la main.

Une semaine plus tard, Henri disparu subitement de mon appartement emportant, en plus de ma femme, trois bouteilles de Château Petrus 1948 et mon matériel de montage de mouches avec lequel, sur les rochers de Montauk il avait eu un succès foudroyant grâce à sa mouche redoutable et était devenu rapidement une célébrité local.