Quand, depuis le milieu de la rivière où je passai du bon temps à faire chier les poissons, je vis Lucien T., le garde-pêche, garer sa moto, je me dis tout de suite que quelque chose de bizarre se passait.

D’abord, il faut que vous sachiez que le Lulu en question, je le connais depuis des années et que nous entretenons lui et moi des rapports de solide amitié.

Et pourtant, à part cette année de luxe, je n’avais par le passé jamais acheté de permis de pêche. Non pas que je m’y refusais par contradiction adolescente, mais tout simplement par crainte de me voir manquer de picaillons même pour acheter des boîtes de sardines ou des spaghettis ordinaires. Et quand Lucien me demandais mon permis, j’avais trouvé la bonne technique. Il suffisait de le brancher sur la faune de la rivière, les truites de lâcher etc,.. pour qu’il prenne la parole, ne la lâchait plus et en oubliait jusqu’au noble rôle que lui confiait son uniforme.

Lucien, péniblement s’extirpa de va vieille bécane qui avait vu des jours meilleurs et d’une voix de ténor aviné, s’adressa à la foule des vacanciers.

« Bonjour Messieurs dames. Contrôle des permis de pêche, s’il vous plaît ! »

Une des raisons pour laquelle je trouvais cette entrée en scène peu catholique, était entre autres que le petit coin charmant au bord de la rivière ou je me trouvais était totalement vide de touristes et que le seul pêcheur à la ronde était votre serviteur.

Délaissant pour un moment mes chers poissons, je regagnai prestement la berge.

« Salut, Lulu. Alors, toujours au travail ? »

 » Ouais ! », fit le préposé d’une voix d’ou l’on pouvait renifler , même de très loin et sans se tromper, le doux parfum des vins des Côteaux de l’Ardèche.

Et puis, me sentant une âme à la Saint Vincent de Paul , j’embrayai.

« Dis-moi mon ami, je vois que tu n’as pas beaucoup de clients ce matin. Tu voudrais pas me contrôler mon permis ? »

«, Flèche, ça c’est la cinquième fois en un mois que je contrôle ton permis .Ca suffit maintenant, je sais pertinemment que tu es en règle ! »

« Allez, Lulu, te mets pas en rogne…. encore une fois, juste pour ne pas perdre la main ! »

« Bon, c’est bien parce que c’est toi » fit le préposé en prenant en main mon permis…. « Ça va, tu peux t’en aller pêcher ! »

« Dis-moi, mon ami, fis-je en remettant le document dans ma sacoche, je te trouve une mauvaise mine ! Aurais tu un problème , un soucis…quelque chose qui te chiffonnerai ? »

« Non, non tout va bien… Enfin… Pas vraiment… Tu la connais ma femme, la Pauline… Bon, d’accord, elle n’est pas de la première fraîcheur et elle me gueule de plus en plus dessus à cause de mon métier de con. ! Et  ben figure-toi que la semaine dernière en rentrant à la maison un peu plus tôt que prévu que les ai découverts ! »

 » Tas découvert quoi ? »

 » « La Pauline en train de se faire grimper par André, le patron de la société de pêche ! Et tu sais ce qu’il m’a dit cet enculé ? Eh bien m’a dit : fais comme chez toi, Lucien, va te servir un Ricard ! »

Et là, mon sang n’a fait qu’un tour. Quelle insulte! Alors qu’il sait pertinemment que je ne bois que du Casanis !, quel salopard ! »

Une semaine plus tard, j’appris que Lucien avait été viré de son poste de garde-pêche quand des curieux l’avaient vu demander son permis à la jument de Jean-Louis Dulard.

Et dimanche dernier, je le rencontrais au marché de Lablachère (07) occupé à vendre gaiement des ouvre-boîtes révolutionnaires  » OUVRETOUT « .

Une fois de plus, le poète avait raison :  » Après la pluie, le beau temps « .