C’est  » Junior « , mon pote portoricain d’à côté qui m’a refilé le tuyau : « Pour soigner ton décalage horaire, mon ami, rien ne vaut le soleil et un bon verre de tequila. »

Ça tombait bien, il faisait une journée radieuse et tout d’un coup je me suis souvenu que l’East River c’était à deux pas de chez moi et que les années passées, des petits « snappers », j’en avais sorti des quantités.

Et en plus, ça se bouffe et c’est délicieux. Demandez un peu à ma femme !

Donc, j’ai chopé ma canne à mouche dans la cave, un vieux moulinet et quelques streamers avec lesquels je faisais un malheur sur la jetée de la septième rue à Brooklyn. Il suffisait de laisser un peu couler la mouche, de l’animer un poil et ça loupait jamais… Et hop encore un petit poisson pour le déjeuner !

Bien avant d’arriver au bord de leau, j’ai vu que mon quartier avait bien changé depuis mon départ six mois auparavant. D’abord, ce qui sautait aux yeux était le nombre impressionnant de bonnes femmes promenant leur marmaille. Faut vous dire qu’il y a pas cinq ans, on en voyait pas un, de marmots.

Les rues étaient dangereuses les gangs de dealers omniprésents faisaient la loi… En gros, le quartier de Williamsburg, ça craignait et le bord de l’East River c’étaient un no man’s land qui avait des airs de Berlin 1945. Voyez le genre ?. Carcasses de bagnoles carbonisées, rats obèse et tessons de bouteille qui vous clignaient de l’oeil au soleil. C’était ça, l’East River.

Et aujourd’hui, d’immenses grues construisent en vitesse des immeubles gigantesques, moches comme des poux (excusez-moi, camarades poux pour cette comparaison peu flatteuse à votre endroit !)

J’essaie de penser autre chose en attachant mon  » Clouser minnow  » au bout de mon bas de ligne et…merde, nom d’un chien, faut pas déconner… Me voilà quand même à la pêche avec en face de moi l’image formidable presque irréelle de Manhattan qui bande de l’autre côté de la rivière.

Et je ramène mon fils… Et… Que dalle. Et que dalle pendant une bonne demi-heure alors que d’habitude, c’est du tout cuit.

J’avise un autre pêcheur au bout de la jetée : « Ca mord aujourd’hui ?Any luck ?

 

Le type me répond en polonais, en hochant la tête, des mots avec plein de W. de Z et de Y, ce qui signifie grosso modo : « Pas une touche ! »

En revenant bredouille à la maison je pensais que le quartier était foutu, que tous les bobos nouvellement débarqués qui déboursaient des milliers de dollars par mois pour habiter Williamsburg devaient certainement être en partie responsables de la fuite de mes chers poissons. (Fantasme, quand tu nous tiens !)

Et en passant sur Métropolitain avenue, j’aperçus un attroupement devant l’église polonaise. Que des habits noirs. Un enterrement sans l’ ombre d’un doute et tous ces gens qui parlaient avec des W des Z et des Y – tiraient vraiment des tronches d’enterrement.

Et une idée m’est venue, comme ça, que moi aussi je devrais porter le deuil de ma rivière et enterrer ma canne à pêche dans le terrain vague à l’angle de Driggs avenue et de Grand street, y déposer un petit bouquet de fleurs et me taper la tequila de  » Junior « .

Et quand je me suis pointé, il n’y avait plus de terrain vague . Seulement une grue creusant les fondations d’un immeuble grand luxe. Et je suis resté planté comme un con avec ma foutue canne à pêche et mon décalage horaire.

PS. Ce matin, j’ai pris le métro , le « L  » train pour faire des courses à Manhattan. Dans le compartiment il y avait une fille pas loin d’être la plus belle du monde. Une rousse tellement fascinante que j’ai oublié de descendre à  » Union square  » et que je me suis retrouvé à la 8e avenue. Il y a peut être moins de poissons dans l’East river mais les souris à vous rendre dingo, à New York, c’est pas ça qui manque. Venez y faire une virée et vous tomberez amoureux de cette ville comme je le suis depuis plus de 30 ans . Garanti ! !!!!