À cette époque, nous habitions, ma femme et moi dans une église désaffectée que nous avions acheté pour une bouchée de pain.(Lire PINE HILL MEMORIES) Elle était nichée dans les Catskill Mountains, entouré par des rivières extraordinaires où il n’était pas nécessaire d’être un bon pêcheur pour ferrer des truites qui seraient considérées comme des monstres dans nos belles rivières ardéchoises.

Là, j’avais fait la connaissance du Docteur O, un petit bonhomme sautillant qui avait son cabinet dans le petit hameau de Shandaken, à deux pas de l’Esopus creek où il passait le plus clair de son temps, délaissant sans vergogne ses patients, pour remplir son panier de pêche.

Car le bon docteur qui soignait si bien les malades de la région était, au bord de la rivière, un tueur non repenti.

Un beau jour de septembre il m’avait annoncé avec fierté qu’il préparait activement un voyage de pêche aux Steelheads sur la fameuse Deschutes river, de l’autre côté des USA, dans les plateaux ouest de l’Oregon.

Il me faisait voir avec fierté ses boites de mouches  ou étaient rangés des spécimens pour moi inconnus dont il se faisait un plaisir de m’énumérer les noms exotiques.

– Ca c’est une « Babine spécial ». Celle-là c’est la fameuse « Tequila sunrise ». Quant à celle-là, c’est la redoutable « Green butt skunk » qu’aucune steelhead normalement constituée ne peut regarder sans éprouver une irrésistible envie de l’engloutir.

Toutes ces mouches, étaient montées sur des hameçons gros comme des crochets de bouchers avec des ardillons de vampires car, je n’en doutais pas un seul instant, le Docteur O rêvait de ramener des trophées afin de « décorer  » sa salle à manger.

Un bon mois passa et un jour , dans le bar du village de Big Indian je rencontrais de nouveaux le  » bon docteur « .

J’avoue avoir eu du mal à le reconnaître. Il avait une tête qui faisait penser à un bout de barbaque échappé d’une école de boucherie. Sa lèvre inférieures, d’un volume hors les normes et d’une couleur ocre rouge violacée était parcourue de traces noirâtres, résultats de points de suture à faire frémir. En bref, la pauvre anatomie faciale de mon ami aurait donné des cauchemars à n’importe quel mort vivant. Le rencontrer par une nuit sans lune et c’était à coup sûr la crise cardiaque.

– Mais que t’est-il arrivé mon pauvre, lui demandai-je. Tu ressembles étrangement à Boris Karloff dans le célèbre film « le récupérateur de cadavres ».

– Et bien, mon cher Flèche, laisse-moi te conter mon horrible aventure. Arrivé au bord de la Deschutes River, je ne fus pas un long à  apercevoir une magnifique steelhead se baladant derrière un petit courant. Je me mise en équilibre sur un petit rocher et lançais ma mouche en direction de l’animal. Malheureusement, sans prévenir, une bourrasque de vent  fit dévier la trajectoire de ma ligne et résultat : ma «  Babine spéciale » vint se planter dans ma lèvre inférieure qui fut traversée de part en part par l’énorme hameçon. Premier lancer et fin de mes rêves.

Je fus transporté d’urgence par hélicoptère à l’hôpital de Portland et me retrouvais en salle de chirurgie. Tout le personnel de cet établissement vint à tour de rôle visionner mon infortune et personne ne put retenir des gloussements de franche rigolade en voyant ma lèvre d’ou pendait la mouche assassine. Cette saloperie d’ardillon, en plus de la destruction de mon amour-propre et mon faciès de playboy, m’a coûté une fortune en frais médicaux, tu peux me croire !

C’est décidé. J’abandonne la pêche et je me met à la chasse. Au moins, « ils «  ne vont pas me faire chier avec leurs «  NO KILL «  et tout le bataclan «

Peu de temps après, ce connard ayant oublié ses lunettes dans son 4X4, tirait et tuait net le cheval de Bob, le propriétaire de l’Hôtel de Pine Hill, prenant sans doute le pauvre animal pour un daim.

Bob acheta sur le champ une  boite de cartouche pour gros gibier «  Brenneke magnum calibre 12 ».

Depuis, nous sommes sans nouvelles du Docteur O.