Quand tu pêches en réservoir, parfois, il ne se passe rien. Pas vraiment de gobage en surface, en tout cas rien qui ressemble à une truite. Tu tricotes un chiro, rien. L’eau est trouble, il fait un peu chaud. Tu pourrais passer au streamer, ou rentrer chez toi et te demander pourquoi tu insistes pour pêcher  dans ce genre de coin. Tu pourrais reprendre ton karma à zéro, tout plaquer, aller chercher un job d’été en Colombie Britannique. Garder les moutons dans une estancia au sud de Neuquén. Mais tu as fait tienne la philosophie du père Crapo : rien ne remplace les heures passées au bord de l’eau, s’y coller et faire avec ce qui vient.*

Plutôt que d’envoyer du lourd à l’aveugle, et à défaut d’une science de l’eau dans laquelle je suis encore enfant et qui me montrerait quoi faire, je préfère changer d’échelle. Parce qu’à y regarder de près, ça bouge un peu sous les vaguelettes, mais c’est petit. Des rotengles. C’est le bon moment pour sortir le fleuret, refaire la pointe en dix centième et monter une cochonnerie minuscule. Le rotengle, que Dieu le bénisse, ça a la tronche tournée vers le haut, ça aime la surface. Et ça te laisse un fragment de seconde pour ferrer. Juste la recette pour te mettre dans cette tension, cette focalisation totale, la zone, où tu trouves ce que tu viens chercher à la pêche.

J’ai dépucelé mon têtard au rotengle. On aurait pu rêver plus grandiose, mais finalement c’était juste bien.

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* Paroles de sagesse barbue, généreusement prodiguées dans les coms de son opus magnus, consacrées aux barbes. A noter : Gierach, aussi bon dans la conversation que dans ses livres.