Jim m’aura fait une bien mauvaise blague, venir annoncer sa mort après celle de Decaux ! C’est en regardant le journal du fond de mon canapé, tout en luttant contre la crève, que j’entends soudainement le journaliste à la mèche blonde balancer en fin de journal « Une figure littéraire s’est éteinte aujourd’hui, Jim Harrison est mort la nuit dernière ». Incrédule. Je reste bouche bée et j’ai même feint de ne pas le savoir. Si je ne le sais pas, alors ce n’est pas vrai. Pour moi, Jim est tranquillement installé dans sa barque, son fidèle chien à ses côtés, à admirer le lever de soleil sur le lac et à se foutre royalement du reste.

J’ai découvert Jim à l’adolescence. Ma mère m’a prêté Dalva et ce fut un choc immense. Ce roman m’a poursuivi longtemps. Le premier romancier qui parlait des hommes et de la nature avec la même intensité. Fait du hasard, j’avais prévu une relecture de Dalva le mois prochain… Je découvre aujourd’hui que le roman est n°1 des ventes. La mort est une vendeuse impitoyable. Mais il est temps, ses livres ne sont plus publiés (les anciens) depuis des lustres. J’imagine que les maisons d’éditions vont se précipiter sur l’occasion, tant mieux si ça peut permettre aux nouvelles générations de s’embarquer dans la vieille carlingue de Jim et à travers toute une myriade de personnages, redécouvrir l’Amérique, la vraie.

Dalva n’était pas le premier roman de Jim, il en a écrit d’autres, des poésies aussi – l’homme était un touche à tout, il a commencé à gagner de l’argent en devenant scénariste. Pas étonnant que le cinéma lui ait parlé, il voyait tout en 16/9ème. Il offrait à ses lecteurs des paysages grandioses et le retour à l’Amérique originelle. Ses personnages étaient profondément humains, tellement humains que certains lecteurs avaient du mal à les entendre parler de sexe, de libido en chute libre, de problèmes intestinaux, de la vieillesse, de leurs remords. Car ses personnages étaient faillibles.  Jim a vieilli, la vieille canaille a tout raconté dans ses romans, le temps qui passe, les mariages ratés, les illusions perdues, la chasse au temps perdu, à la jeunesse qui se barre mais toujours cette nature qui vous épate même lorsque vous vous arrêtez au bas de la route pisser un coup.

Je n’ai pas du tout son âge mais quand j’ai lu L’Odyssée américaine et croisé la route de Cliff, ce sexagénaire dont l’épouse le quitte et de facto, le met dehors – j’ai adoré m’embarquer avec lui sur les routes américaines. Cliff s’était mis en tête de renommer chaque état traversé, et nous voilà de nouveau en pleine cambrousse, à regarder les fleurs et les rivières, à écouter les oiseaux chanter, à penser aux premières nations indiennes .. mais Cliff c’est pas uniquement Jim, c’est nous aussi. Jim est et reste un des plus beaux conteurs qu’il m’eut été donné de croiser.

On a longtemps cru à tort (ou à raison) que Jim Harrison était exclusivement un nature writerLégendes d’automne, dont une des nouvelles a été adaptée au cinéma, avait fait de lui l’homme des bois. Je ne dirais pas l’inverse, avec lui les grands espaces américains ont retrouvé leur place. Mais Jim aimait profondément les gens, et tous ces romans parlent d’êtres humains, qui au fond nous ressemblent profondément. La nature et l’homme ne faisaient qu’un pour Jim. Il n’y avait pas lieu de les séparer, en cela il ne pouvait être que proche des nations indiennes. L’un et l’autre vont de pair.

« Pet entra en martelant le sol avec ses bottes afin d’en faire tomber la neige. Elle tendit à Ludlow la lettre de Tristan et détourna la tête. Decker baissa les yeux. Seul, Un Coup regarda ouvrir la missive ; contrairement aux autres, il ne craignait pas le pire car il possédait ce fatalisme des Cheyennes pour qui ce qui est arrivé ne peut plus être modifié. On ne pouvait rien changer au cours de choses ; autant jeter des pierres à la lune ».

Pour ceux qui n’ont jamais lu Jim Harrison, je déconseille la lecture de ces derniers romans, je le sais, la plupart de ceux qui autour de moi ont acheté Pêchés capitaux se sont ennuyés. Mais c’est un peu comme un chanteur, le style a évolué et ses centres d’intérêts également. Sa signature est toujours là, simplement Jim a écrit comme il a vécu. Il parle de vieillesse, d’impuissance, d’alcool, de regrets. Comment un jeune de 20 ans pourrait comprendre ?  L’autre souci vient du fait qu’avant Dalva, Jim Harrison était totalement inconnu du grand public, et encore plus de ce côté-ci de l’océan. Ses premiers romans ont souvent été traduits ou vendus après Dalva, dans le désordre. Je vois certains lecteurs ayant découvert Harrison il y a peu s’étonner de la tournure des choses. Oui, le Jim de Un beau jour pour mourir était différent du Jim de Dalva ou de Nord-Michigan, et ce n’est plus le même homme qui écrit L’Odyssée américaine. Car Jim écrit essentiellement sur sa vie, sur ce qu’il connaît. Il ne cherche jamais à faire autre chose et c’est ce que j’aime en lui.  Jim a vécu comme il a écrit. Amateur de bons vins, de pêche et de chasse, il a fui la ville et préférait la compagnie de pêcheurs à celles des éditeurs. Jim était un bon-vivant, et il sera un bon-mort. Si le paradis existe, alors ça ressemble sûrement à un de ces lacs du Michigan, avec une cabane, un fusil de chasse et une vieille canne à pêche, de quoi écrire et faire du feu.

Les hommages vont se multiplier et ils seront magnifiques. Moi, je lui en veux au bougre de Jim d’être parti si tôt, il était dans ma bucket list (mes dix voeux avant de mourir).  Pour en revenir aux livres à lire, je dirais lisez les tous. Certains vous diront que non, il faut lire les meilleurs, mais personne ne s’accorde sur les meilleurs. Légendes d’Automne est presque introuvable aujourd’hui, pourtant ce sont des nouvelles magnifiques. Dalva vous permettra de voir le génie littéraire où les personnages semblent être sortis de la cuisse droite de Dame Nature.  Un beau jour pour mourir vous déroutera pas mal, mais vous embarquera dans un road trip inoubliable. Bon je m’arrête là, j’ai décidé de relire certains (je vous mets la liste en bas de page) pour en parler mieux que ça, parce que Jim le mérite amplement. J’avoue, ça fait drôlement chier sa mort. Un sale tour qu’il vient de nous jouer ! Jim a préféré partir pêcher dans un coin où plus personne n’ira l’emmerder. Mais ce qui me rassure c’est de voir tous ces témoignages et de voir dans chacun que tous nous partagions une histoire personnelle avec lui. Et pour moi, c’est ce qui le rend éternel.

Il y a quelque temps, j’ai joué à un jeu littéraire, on pouvait gagner un livre à condition de répondre à la question : « de quel auteur aimeriez-vous recevoir une lettre d’amour? » – la réponse fut immédiate « Jim Harrison ». Oui, ce type à la tronche un peu bizarre, qui file sur ses 78 ans, qui aime la bonne chère, le bon vin et peut refaire le monde autour d’un bon repas. Soit dit-en passant, j’ai remporté le concours.  Merci Jim !

Pour ma part, je compte relire et consacrer un billet à chacune de ces lectures (dans le désordre) :

  • Un beau jour pour mourir
  • Dalva
  • Légendes d’automne
  • Nord-Michigan
  • Les jeux de la nuit
  • La route du retour

La complète bibliographie de Jim Harrison est disponible sur Wikipedia.

Pour finir un poème tiré de son recueil After Ikkyu and other poems (1996),  L’éclipse de lune de Davenport.

Non pas ici et maintenant mais maintenant et ici.
Si vous ne savez que la différence
est question de vie ou de mort,
agenouillez-vous nu dans la neige
pour suivre la trotteuse de la montre.

Not here and now but now and here.
If you don’t know the difference
is a matter of life and death, get down
naked on bare knees in the snow
and study the ticking of your watch.