Sur Bent Road, on aperçoit tout le temps un pick-up rouge déglingué qui sillonne la prairie, inquiétant. Il y a une petite fille solitaire qui met les robes de sa tante défunte, un garçon qui apprend à tirer avec l’arme de son père pour lui prouver qu’il est un homme, et une femme qui se rend compte qu’elle ne reconnait plus son mari et qu’elle ne sait plus comment protéger ses enfants.
Bent Road, c’est un lieu où l’on apprend ceci : parfois, le meurtre est le plus doux des remèdes.

Je voulais vous parler d’une romancière américaine que j’ai découvert l’an dernier, un peu par hasard : Lori Roy.  Son premier roman a été un vrai coup de cœur – je viens de finir le second qui confirme tout le bien que je pense d’elle.

Détroit, 1967 – les émeutes raciales effraient la famille Scott, dont le père, Arthur, qui redoute cette violence. Il choisit de retourner vivre avec sa petite famille dans la ferme familiale où il a grandi, sur Bent Road, dans un coin paumé du Kansas. Célia, son épouse, peu habituée à la vie à la campagne, redoute ce déménagement impromptu. Son mari a toujours refusé de parler de son passé, et en particulier de sa jeune sœur Ève, disparue tragiquement. Il n’a d’ailleurs pas remis les pieds au Kansas depuis 20 ans.

Leurs enfants sont inquiets, Elaine, 17 ans, craint de s’y ennuyer à mourir, Daniel, adolescent timide déprime à l’idée de perdre tous ses amis et Evie, la petite dernière, à l’imagination débordante, est ravie de partir à la rencontre de sa famille.

Les attendent là-bas : Reesa, le mère d’Arthur, une vieille femme usée et autoritaire. Sa fille ainée, Ruth, qui a épousé Ray peu de temps après le décès d’Eve. Ray était le petit ami d’Eve. Ray et Ruth n’ont pas eu d’enfants, mais leurs voisins, Amy et Orville Robison ont eu une petite fille sur le tard, Julianne. Du même âge qu’Evie, blonde comme les blés. A peine les Scott sont-ils installés que Julianne disparait mystérieusement.

Très vite, les fantômes du passé ressurgissent. La disparition de la petite fille rappelle la mort tragique d’Eve. Célia déprime sur ces terres isolées, l’hiver renforçant ce sentiment de solitude. Elle regrette la vie citadine, les jolies robes, la musique. A part leur sortie dominicale à l’église, les Scott restent chez eux.

secrets-de-bent-road-lori-royTrès vite, Arthur réalise que Ray, alcoolique, bat sa femme, Ruth. Lorsque celle-ci se présente un jour chez eux, le visage boursouflé, Arthur décide qu’elle ne retournera pas chez son époux, provoquant la colère de Ray. Evie n’a aucune amie et se réfugie dans un monde imaginaire. Elle a trouvé des affaires ayant appartenu à cette mystérieuse tante Eve, dont personne ne souhaite parler, mais dont elle porte le nom. Daniel, timide, ne s’est fait qu’un seul ami : Ian Bucher. Un enfant polyhandicapé, passionné de chasse et qui est persuadé qu’un fugitif, échappé d’un hôpital psychiatrique, rôde dans les parages…

Que dire ? Sinon que Lori Roy signe un premier roman impressionnant de maîtrise ! Et surtout un roman noir passionnant. Il a reçu le titre EDGAR de roman policier, mais ici point de police. Les Américains ne connaissent pas le genre « roman noir » même s’ils en écrivent.

J’ai beaucoup aimé le choix narratif de la romancière qui alterne le point de vue des différents protagonistes, enfants compris. Et puis surtout, cette atmosphère oppressante qui vous prend peu à peu à la gorge, vous savez que Ray n’acceptera pas cette situation, et qu’en est-il de la petite Julianne ?

Et Lori Roy maitrise parfaitement les rouages. J’ai vraiment eu peur avec la famille Scott. J’ai vu Evie jouer avec les robes de sa tante, Daniel à la chasse, trembler en appuyant sur la gâchette et l’ombre de Ray se profiler à l’horizon. Et puis ce passé qui finit par revenir exploser à la figure….  Un très bon moment de lecture pour ceux qui aiment ce genre d’atmosphère et la tension qui ne vous quitte plus.