Le sujet de ce roman, publié en 2013, m’avait attiré. J’avoue, les récits de guerre ont un effet attractif chez moi, je me souviens des sublimes nouvelles de Phil Klay par exemple, ou de l’excellent Sale Boulot de Larry Brown.

Onze joursEn mai 2011, Sara apprend que son fils unique, Jason, membre des SEAL (les forces spéciales américaines) est porté disparu en Afghanistan.  Sara a élevé son fils seule, le père de Jason, David, membre de la CIA, a disparu lors d’une mission en Arabie Saoudite il y a des années. Il n’avait jamais été vraiment présent pour son fils, incapable de mener une vie stable. Sara voit alors sa maison assiégée par les journalistes, fort heureusement elle est soutenue par ses voisins et par Sam, un ancien membre des SEAL, affecté à Washington D.C et ami de Jason. Il vient s’installer chez elle. L’attente se transforme en épreuve de force pour Sara mais elle est aussi l’occasion pour revivre ses 27 dernières années.

Qui est Jason ? Pourquoi ce fils si doué, si intelligent, a-t-il choisi de s’engager dans l’armée ?  Après la disparition soudaine de David, Sara a trouvé plusieurs parrains, tous hauts fonctionnaires au Capitole – Jason a pu bénéficier d’une excellente éducation et a fait très tôt preuve d’une grande intelligence. Et puis il y eut les attentats du 11 septembre et Jason choisit de s’engager à l’Académie militaire. Les forces spéciales, il y pensait et en cachette il s’entrainait – car les tests sont les plus difficiles de toutes les armées, l’équivalent de nos Bérets Verts ou de la Légion étrangère. Et Jason, malgré la pression, les a tous passés haut la main. Dix ans plus tard, Jason commence pourtant à s’interroger sur son avenir.  Il aimerait bien entamer des études et se marier. Mais on le retient car Jason est un meneur né et ses supérieurs l’encouragent à faire carrière dans l’armée.

Et puis cette mission, cette dernière mission, et Jason disparait.

Un roman qui m’a déstabilisé : il y a la relation d’une mère et d’un fils mais il y a surtout toute l’histoire de Jason, de tous ses entrainements, de toutes ses missions et une plongée dans le monde des forces spéciales.

J’avoue que le début fut ardu, je n’ai pas eu d’atomes crochus avec Sara, comme dans les premiers chapitres où elle décrit ce fils « parfait » (c’est vrai qu’il est impossible de trouver le moindre défaut à ce Jason, ce qui forcément en devient un aux yeux de tout lecteur) et elle est si fière de sa carrière qu’elle se met à critiquer tous les autres soldats. Elle est surprise par le choix de son fils de s’engager mais c’est bien plus tard qu’elle comprend que cela implique de mettre sa vie en danger. Elle le voit nettement supérieur aux autres engagés.

L’auteure, Lea Carpenter,  est fille d’un membre de l’Army Intelligence et elle entreprend la tâche énorme de décrire en détails les méthodes de recrutement des SEAL (un glossaire est même disponible à la fin du livre). Il y a quatre stages de sélection (l’endurance, le combat, le comportement…) tous décrits en détail. J’ai trouvé Sara exaspérante lorsqu’elle dénigre ceux qui abandonnent en cours de formation ou à parler sans cesse de son fils comme d’un « guerrier savant » parce qu’il cite les plus grands écrivains, a lu l’Iliade et les poèmes de Kipling…

Fort heureusement, lorsque le roman change de personnage, j’ai respiré – Jason raconte ses missions, son amitié avec Kipling, (il se donnait tous des surnoms, Jason était le « Prête »)  qui finira par abandonner au bout de deux années, à sa grande surprise mais sans ce jugement présomptueux qu’avait sa mère. Et surtout Jason explique comment sa vision des choses, de la vie évolue. Il raconte aussi ses histoires d’amour, la pression de ses parrains et de ses supérieurs et puis l’envie de changer d’air, de réfléchir à son avenir. Et là, j’ai dévoré le roman, en une soirée !

« Souvent il enroule simplement le collier (offert par sa mère) autour de son poignet ou de sa ceinture. Mais la nuit – ou quand il saute- il le remet systématiquement autour de son cou. Là, sous son gilet, il a moins de chances de tomber, et Jason aime l’idée qu’il y est pus porche de son coeur. »

J’ai deux derniers bémols : une sorte de twist que j’ai trouvé inutile (impossible d’en dire plus!) et la fin que j’ai trouvé très américaine. Par cet adjectif, j’entends le côté très patriotique, les grands symboles (le fils devenu un héros, forcément un martyre dont on veut adapter l’histoire sur grand écran ) – un peu trop grandiloquent à mon goût.

J’ai cependant apprécié le style et la traduction est excellente, il faut le dire ! Lea Carpenter est diplômée de Harvard et Princeton. Il manque néanmoins à ce roman une empreinte d’humanité, en effet Jason et Sara sont des portes-drapeaux et manquent parfois de profondeur et pour Jason, de failles qui aurait donné plus de force à ce personnage trop lisse et trop parfait. Si vous aimez les récits de soldats, sur les liens très forts qu’ils tissent entre eux et si vous aimez l’armée ou ce qui y touche, alors ce roman vous parlera, mais si vous cherchez une histoire d’amour mère-fils, passez votre chemin. Elle est bien là, évoquée en filigrane, mais elle ne constitue pas la trame principale du roman, contrairement à ce qui est annoncé.

J’ai beaucoup aimé la deuxième partie où Jason devient le point central. Je referme ce roman avec une certaine tendresse envers lui et surtout j’ai une pensée pour tous ces milliers de jeunes soldats, engagés subitement au lendemain du 11 septembre et qui sont tombés si vite au combat ou sont revenus méchamment abimés.

Editions Gallmeister, Eleven Days, trad.Anatole Pons, 22 €