La première fois que j’ai fais la connaissance de Josy, c’était dans les années 80. Je sortais d’un horrible cours de dessin, places des Vosges, à Paris. Il flottait des cordes. J’étais trempé et comme il faisait froid en plus, je devais avoir une mine à la  » Rimbaud humide ».

Josy ,elle, elle travaillait le trottoir à l’angle de la rue du Pas de la mule et quand elle m’avait vu, tout ruisselant, elle m’avait poussé dans le bistrot qui fait l’angle et m’avait forcé à ingurgiter un bol de Viandox vin blanc (Depuis, j’y ai pris goût.) Et, quand j’ai cessé de grelotter, nous avons fait plus ample connaissance.

Qu’est-ce qu’elle était adorable la Josy, un vrai petit coeur. Sûr que ce n’était pas Miss France même pas Miss Massif central ou Miss Sarthe, mais je m’en foutais comme de l’an 40. C’était une des femmes les plus généreuses qu’il m’ait été donné de rencontrer.

Ça faisait près de 10 années qu’elle faisait le tapin et n’y voyait aucun mal, bien au contraire. Bien sûr, elle avait essayé d’autres boulots lorsque vers 18 ans qu’elle avait débarqué de Valenciennes dans la capitale. Zéro formation, Zéro succès. Alors, puisqu’il fallait nourrir sa gamine , elle s’était mise à faire le trottoir. Comme ça ! Comme quand on va bosser chez Renault.

Et puis, elle me racontait avec un sourire d’ange que des hommes, il y en a tellement qui sont seuls et tristes et que des caresses, elle savait en donner et qu’elle devrait même être payé par la sécurité sociale tellement son travail était utile.

Au lieu de quoi, elle se faisait souvent insulter par des gros connards qui se baladaient les week end dans le quartier et leurs mioches, les montraient du doigt en ricanant comme les fils de connards peuvent ricaner.

Et depuis ce jour, chaque fois que je pouvais passer un moment avec Josy, en tout bien tout honneur, c’était un plaisir immense.

On parlait de tout, du boulot, d’art, de cinoche et surtout on rigolait comme de vieux amis d’enfance. Josy, c’était devenu ma famille. Souvent, je devais consoler sa morosité à cause de sa fille qui était retournée vivre chez sa grand-mère à Lons-le-Saunier et qu’elle aimerait bien avoir plus de temps avec elle. Mais, avec son boulot sur le trottoir, elle avait peur que sa minotte en prenne ombrage. N’empêche qu’ en général, il n’y avait pas plus gai que mon amie de la rue du Pas de la Mule.

Un beau jour, je lui parle de ma passion pour la pêche à la mouche et la Josy ouvre des yeux comme des soucoupes

« Quoi ? Tu accroches des mouches un hameçon ? Mais, c’est dégueulasse ce truc la. »

Alors je commence à lui raconter les plumes de coq et les poils de lièvre et tout le tremblement et je vois la Josy qui gobe tout ça et que ça à l’air de la remuer bien profond.

« Dis donc ma copine, ça te dirait qu’on parte dimanche matin ensemble à la pêche ? Je connais une petite rivière toute douce pas très loin de Paris. On pourrait amener le casse-croûte et ça te changerait de Paname ?. »

Et le dimanche suivant, nous voilà tous les deux dans ma vieilles 4L bleue et le soleil est de la partie et Josy est folle de joie en me montrant du doigt les vaches dans les prés.

« Tiens, Flèche, ça c’est une Normande et celle-là une Berrichonne. Regarde un peu ces nichons …! »

Arrivé au bord de l’eau, je monte ma canne et immédiatement je repère une petite bande de chevesne nonchalants près du bord opposé.

Je n’ai pas intérêt à manquer mon coup car Josy m’observe avec un petit sourire narquois qui veut dire « Si tu crois que tu vas m’épater, mon copain avec ta mouche à la noix ! »

Et au deuxième lancer, un petit chevesne se laisse tenter par mon imitation de scarabée. La tête qu’elle fait la Josy… Et n’en croit pas ses yeux quand je relâche l’animal.

« Mais pourquoi tu l’a laissé partir. On aurait eu le début d’une friture, non ? »

« Attends un peu ma Josy, je vais te faire voir un truc ! »

Et à peine deux minutes après, un autre chevesne est amené près du bord.

« Bon, Josy, tu prends le poisson dans ta main mais tu ne le sers pas trop fort hein, promis ? »

« C’est pas trop gluant ces bêtes-là ? »

« T’inquiète, c’est frais comme de la rosée.Vas y, n’ai pas peur… Tout doux… Attends un peu, je lui enlève l’hameçon… Tu ouvres la main et tu le laisses partir doucement ! »

Et là mes amis, si vous aviez pu entendre les hurlements de joie de Josy…du bonheur à l’état pur.

 » Putain (oh excuse-moi !) Flèche, c’est une magnifique sensation. Je n’ai jamais eu une telle émotion… »

« Voilà, Josy, ma douce amie. T’as tout compris à la pêche à la mouche ! ».

Et puis, quelque mois passèrent et je partis m’installer à New York pour faire l’artiste.

Et un beau jour, je fis le voyage en sens inverse et me retrouvais comme par habitude au même bistrot de la rue du Pas de la mule. Josy s’était envolée mais une de ses copines me tendit une enveloppe sur laquelle était écrit mon nom. Je la décachetai et lue avec émotion le petit mot écrit d’une écriture malhabile que Josy m’avait laissé.

« Mon cher ami. J’en ai eu ma claque de ce coin de trottoir pourri. Aussi je suis allé m’installer avec ma fille dans les environs de Lourdes. Tu ne peux pas imaginer comme même les pèlerins ont souvent besoin d’amour. Et pas seulement d’amour du petit Jésus, tu peux me croire. J’ai un taf d’enfer et me fais des couilles en or, si on peut dire.

Et puis, depuis notre sortie à la rivière, j’ai chopé ton virus de la pêche à la mouche et te pris de croire que dans la région de Lourdes, il y a des rivières belles à pleurer et des poissons avec des robes magnifiques. Ils peuvent toujours aller se brosser chez Christian Dior.

J’espère que tu te portes comme un charme, mon chère Flèche. Merci pour ton amitié et pour le somptueux cadeau que tu m’as fais :

                                          Josy.

 

Voilà. Cette histoire me fait penser à Tonton Georges Brassens, et sa merveilleuse chanson « La complainte des filles de joie ». Pas prit une ride, le Georges !

http://www.youtube.com/watch?v=d9dWmijny2U