J’ai eu un paquet de couteaux dans ma vie. De mon premier Opinel n°8, à la pointe vite cassée parce qu’on s’entraînait à le lancer contre les arbres, on faisait comme dans les films, au Leatherman avec sa pince, en passant par des Laguioles, un Français de l’Atelier Perceval (mon plus beau couteau, je le regrette encore, il est resté dans la poche d’une fille) et quelques autres que j’oublie. Je les perds souvent. Le seul que j’ai gardé longtemps, que j’ai encore d’ailleurs, est un laguioloïde Poyet-Coursolle, stupidement appelé Ranger’s Knife (j’espère que l’idiot qui a eu cette idée a des hémorroïdes). Je l’avais acheté la veille de partir en peloton de sous-off, il y a cent ans au moins, et bizarrement il n’a jamais voulu se laisser perdre.

Mais mon couteau par excellence, celui que je rachète et que j’emmène avec moi partout où j’aurai vraiment besoin d’un couteau, c’est le Rucksack de Victorinox. Mon premier, je l’avais acheté à Buenos Aires, une année où j’avais vécu pas loin de la place du Congrès. J’étais venu avec un Leatherman, très content de mon truc américain. Ça venait de sortir, ça avait l’air vraiment bien. Et puis à force de trimbaler dans mon sac à dos ce bout de métal lourd et globalement inutile, j’en ai eu marre et j’ai fini par le donner à Neno, un pote uruguayen qui lui en avait bien besoin et pas un radis en poche. Il y avait sur Paraná une de ces boutiques comme on les aime tous, pêche, camping etc. Elle est encore là, ça s’appelle La Caleta. On partait pour Punta Arenas et puis la Terre de Feu, alors j’ai acheté des gants, et un Rucksack.

A ce moment là, c’était surtout une question de budget. Mais il m’a forcé la main et je suis resté accroché. D’abord il est parfait. Il ne coûte rien, ne pèse pas grand chose, et fera tout ce qu’un pliant doit faire quand on n’est ni Rambo ni Mc Gyver. Mais c’est son plastique rouge qui me charme. Le couteau suisse a une histoire, sans doute, mais c’est aussi une sorte de produit très moderne, une ingénierie désincarnée, un objet sans terroir, et c’est ça justement qui me va très bien. Je le regarde avec des yeux de gosse, je joue avec les lames. Je m’en sers. Je le perds. Et celui qui prend sa place est encore le même, anonyme, interchangeable, et malgré ça, ou peut être pour ça, mon couteau préféré.