Le Mouching, fly fishing, salmon river
De France, ils sont venus, le Gilbert et sa grosse copine, pour aller à la pêche au saumon avec moi. Six mille kilomètres pour se les geler aux alentours du Lac Ontario, sur la fameuse Salmon River.
Et ajoutez à çà, quatre heures de bagnole de mon trou de Pine Hill, dans les Catskills Mountains. Drôlement esquintés à l’arrivée. Le décalage horaire Provence-Pine Hill est redoutable.
Ils n’arrivent même plus à parler, les zygotes. Du jamais vu  ! Départ à 3 heures du matin dans le brouillard. La vieille Dodge fait la gueule, comme d’habitude.
Au lever du jour on peut voir les premiers panneaux sur l’autoroute, annonçants l’Eldorado des pêcheurs: « PULASKI CAPITAL OF THE EAST…10 miles »… »FISHERMAN’S DREAM ! »… »FISH ON 12 months/year ».

Et c’est pas des blagues, je vous le jure, l’endroit vaut le déplacement. Ça commence à devenir du sérieux dès la fin de l’été, avec les remontées du Lac Ontario dans les rivières côtièresde toutes les races de saumons, à la suite des autres, à la queue-leu-leu. Les Cohos, les Kings, puis, quand ça commence à fraîchir, et ce pendant tout l’hiver, les Steelheads et puis les grosses truites du lac et les Black-bass…En veux-tu en voilà !
Pas de morte saison dans ce bourg. Et les gens du pays sont pas plus cons que vous et moi, réunis. Il y a du pognon à se faire avec la pêche et aujourd’hui toute l’économie de la région se faitde la graisse là-dessus. À Pulaski, à n’importe quelle heure du jour, comme de la nuit, tous les magasins d’articles de pêche sont grands ouverts ! Et faut voir l’intérieur !Le mouching, fly fishing fat Nancy
De vraies boutiques de bonbons pour pêcheurs. « What kind of flies for today’s fishing ? » et la vendeuse vous sort la panoplie du jour et nous fait le grand jeu comme un drug dealer à la sortie du lycée.
« La mouche fatale pour aujourd’hui, c’est un secret QUE pour vous, buddy…j’adoooore la France (faux-cul!) etc. Et nous quittons la boutique avec 200$ de moins. La rivière vire et vire à travers ce villagede cinglés. Tous les types qu’on croise sont en pantalons et gilets de pêche, la démarche un tantinet lourde, traînant leurs souliers cloutés sur l’asphalte. Et ça fait « schriiiiiiiffff » et « schraaaaattt » et c’est, ma foi,plaisant à l’oreille et ils se donnent des allures de Roy Rogers et d’Hopalong Cassidy, en traînant leurs cannes à pêche comme des winchester de western. Et ça, c’est plaisant à l’œil.
Certains traînent également au bout de cordes, des King Salmons énormes comme des Mastiffs Napolitains qui laissent leurs traces de bave sur les trottoirs.Le Mouching, fly fishinf, fucker
C’est tellement dégoûtant et vulgaire que ça en devient beau comme une image biblique. Des visions comme ça n’existent pas en vrai. Surtout quand on débarque du Var.
 Le Gilbert, du coup, ça le réveille et la secousse est violente ! « Putain, vé celui-là de saumon ! Putain, je rêve !  Putain ! Celui-là en traîne …d..deux !!! ». J’ai jamais vu Gilbert enfiler ses waders en néoprène à cette vitesse ! Il en tremble… met ses bretelles à l’envers, finalement est prêt.  » Merde, faut tout enlever, j’ai envie de pisser » ! Et voilà…nous y sommes enfin sur le Douglasston Run,catch & release, and The Best Spot on The Salmon River !!
Faut acheter un permis pour la journée, mais c’est comme chez le psychiatre: tu payes pas, ça marche moins bien. Le Gilbert est aux anges !
Et que je t’envoie la mouche et la renvoie et…la renvoie. Il en est tout rouge, pas seulement du froid, j’en suis sûr,  mais du plaisir du puceau qui va peut-être le perdre aujourd’hui.
Si seulement c’était une femelle de saumon, ce serait par-fait ! Et tout d’un coup, alors qu’on ne s’y attend plus, qu’on est déconccentré par la beauté de la flotte qui vous coule entre les jambes, j’entends mon ami qui hurle…non…qui HURLE: « Flèche…Flèche…putain…j’en ai un…putain…qu’est ce que je fais…putain…Flèche ! »  C’est vrai que ça a l’air sérieux ce qui gigote au de sa ligne.
Sa canne pliée en deux et j’entends même le couinement du moulinet qui se dévide, couvrant le bruit de la rivière. « Gilbert…déconne pas…cavale derrière ton poisson !  Si tu restes sur place, Adieu mon fils, ta ligne ne tiendra pas le coup une minute ! Cavale, je te dis ! C’est ta seule ta seule chance ! » .Le mouching, fly fishing,runner_modifié-1 Encore aujourd’hui je ne sais pas comment le Gilbert ne s’est pas fracassé le crâne, les guiboles, ou les deux bras, en courant à moitié dans l’eau, sur les rochers comme des savonnettes, avec  son bestiau au bout de la ligne… un miracle, je vous dis ! Moi, en le voyant, je pensais à toutes les démarches administratives pour faire rapatrier en France la dépouille mortelle de notre ami. Prévenir sa mère à Marseille…le consulat à New York… Je ne crois pas en Dieu d’habitude, des histoires de Père Noël pour les minots. Et pourtant, ce jour là…hum… Vingt minutes plus tard, le saumon est dans les bras de mon ami. Un animal splendide, un gros mâle avec une mâchoire puissante, un KING SALMON tel qu’on peut les
découvrir à l’intérieur de tous ces magazines de pêche qui nous font rêver et qu’on se dit que c’est des blagues pour couillons comme nous et que ça n’existe pas…fait pas chier, j’achèterai jamais plus ces saloperies de journaux à la con ! Et pourtant, la preuve est bien là, toute fraîche et ruisselante et mon pote est en core plus ruisselant que son « sous-marin ». « Flèche…regarde dans la poche de ma veste…l’appareil photo…oui, là vas-y…prends en paquet… pour faire voire aux copains du « CAPORAL »…ils vont faire une de ces tronche…voudraient pas le croire, sinon ! »  OK, je mitraille Gilbert sous toutes les coutures. C’est son sourire qu’est surtout impressionnant. Peut pas s’arrêter de de sourire, va avoir des crampes si ça continue…et un orgasme si je me dépêche pas, de vider la pellicule.
C’est de retour à la maison que les choses se sont détériorées rapidement. On était encore en train de rouler quand Gilbert s’est mis à fouiller dans ses poches pour ranger son appareil photo dans son sac.Le mouching, fly fishing, gilbert
« Putain d’appareil…où qu’elle est cette saloperie ?  » il fait…de plus en plus tendu. « Pierrette…t’as pas vu mon appareil photo ? » . La vérité est que Pierrette, profitant d’un arrêt dans une station d’essence vers Syracuse, avait foutu dans une boîte à ordure, les sacs contenant tous nos déchets du repas de midi, les épluchures d’orange, les coquilles d’œufs durs, les croûtons de pain ET, sans faire gaffe, le sac en plastique noir dans lequel se trouvait le fameux appareil photo, seule preuve irréfutable de la victoire de Gilbert sur SON saumon…..
À l’annonce de cette ignominie, le sang déjà chaud naturellement du pauvre bougre s’est mis à bouillir. Il va la zigouiller, là, sur l’autoroute…pas l’ombre d’un doute, à coups d’Opinel…je le sens venir !
Elle va lui arracher les yeux avec sa lime à ongles…Immédiatement, je pense au rapatriement de DEUX cadavres versla France…le consulat etc. et…un autre miracle à lieu, le deuxième de la journée:  Nat King Cole s’est mis à chanter « Unforgetable » à la radio, avec sa putain de voix de rahat loukoum, et ça a calmé tout le monde et remis le carnage à plus tard. (Signe, sans appel, de l’existence de Dieu…). Quand ils sont partis vivants de chez moi, le surlendemain, je dois avouer j’étais rudement soulagé.
Ils ont divorcés peu de temps après.
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