C’était au siècle dernier. En Juin, si ma mémoire est bonne. On avait fait des kilomètres et des kilomètres pour aller faire chier les truites de la Haute Loire. Mon complice conduisait comme un malade à fin de ne pas louper le fameux coup du soir. Moi, je peinais pour me retenir de ne pas vomir à chaque virage. Et puis enfin, le Stéphane arrêta sa saloperie de voiture au bord d’un chemin et m’annonça, les yeux brillants de joie mal contenue : « Ça y est, nous sommes arrivés. »

Ou presque, parce qu’on en a encore pour une bonne demie-heure de descente à travers la forêt. Mais je te jure que l’endroit en vaut l’effort. Des truites grosses comme les cuisses de ma femme. Et elles se battent pour gober ta mouche (les truites, pas les cuisses !). Même en Oregon « ils » n’ont pas ça ! Aller dépêchons nous. On enfile les wadders et hop ! On descend « . Et c’est vrai que ça n’en finissait pas cette descente au Paradis. Une forêt magnifique avec des parfums si rares que Chanel et Dior pouvaient toujours aller se coucher. Et puis, à mi-chemin, mon oeil fut alerté par une multitude de petits points rouges. [ENGLISH]

Ca y est, j’ai chopé la fièvre, pensais-je aussitôt avec ma tendance hypocondriaque. Non, pas de fièvre, mais des tapis des fraises des bois me faisant de l’oeil à la lisière d’un fourré. Aguicheuses comme des filles de joie.  » Stop, camarade; il y a là un trésor qu’il serait criminel d’ignorer ! ». Des fraises des bois, des vraies, pas des trucs bricolés en laboratoires par des savants fous. Pas des cochonneries au goût de flotte qu’on trouve sur les marchés à des prix de caviar. C’est à genoux, comme dans les cathédrales que j’ai rendu hommages à ces  bijoux. Faudrait le talent et la précision d’un Francis Ponge pour nommer avec exactitude la subtilité, la pureté, le goût soyeux et légèrement acidulé de ces merveilles. De l’opium. Impossible d’arrêter de me goinfrer de ces fraises. Accro aux fraises. Le Stéphane lui non plus n’était pas à la traîne. Il en avait partout sur la gueule des traces de jus rouge. Ressemblait à un cannibale en pleine orgie. L’extase, le Nirvana. Nous ressemblions à deux minots dans un magasin de jouets. Nous riions comme des débiles mentaux, oubliant jusqu’à l’endroit ou nous avions posés nos cannes à pêche. Putain ! la pêche ! On avait même oublié ça.

Quand finalement nous avons atteint la rive du fameux  » spot « , il faisait presque nuit et le coup du soir fabuleux, à cause de ces maudites fraises, et bien, on l’avait manqué. C’est vers une heure du matin que je suis rentré à la maison, le ventre plein de bonheur. Je ne suis certainement pas un très bon pêcheur mais question  » fraises des bois  »  je ne crains personne.[ENGLISH]


It was the last century. In June, if i remember correctly. We drove miles and miles in order to play with the trout of the Haute Loire. My buddy was driving like a mad man in order to arrive before the late afternoon hatch. At each turn i was hanging on, working hard not to puke.

And then, finally, Steph stopped the fucking car next to a little path, his eyes sparkling with joy: « This is it. We’ve arrived!  Well almost…  we still have a good half hour walk through the woods; but I swear to you that it’s worth the effort.  The trout are as big as the thighs of my wife. They fight each other to get at your fly (the trout not the thighs)! Even in Oregon they don’t have trout like this. C’mon lets hurry! Let’s go » We put on our wadders and started the descent.

It was truly a descent to Paradise, that didn’t end. A magnificent forest with perfumes so rare that Chanel and Dior should just give up. Then, suddenly, half-way there my eye spotted a multitude of little red dots.  Wow, I must be getting feverish (with my tendency to hypochondria, it was my first thought). But no, I had no fever; spread out in front of me was a carpet of wild strawberries winking at me from the edge of a thicket; as alluring as a band of loose women. « Stop Stephane, we have a treasure here that would be criminal to pass up. »

Wild strawberries, the real thing, not those things trafficked in laboratories by mad scientists. Not those ficititious things at the market that taste like water at the price of caviar. I was on my knees, like in a cathedral; I rendered hommage to these little jewels. You have to have the talent and the precision of a Jim Harrison to describe  the subtility, the purity, the taste so smooth yet ever so slightly acidic of these little marvels.  Opium. Impossible to stop this debauch. I am addicted to wild strawberries and Stephane was right there keeping up with me. He had red berry juice all over his face.  We were like cannibals in the middle of an orgy. Extasy! Nirvana! We looked like two kids in a candy shop. Laughing like mad men we lost track of time, even forgot where we put down our fishing rods. OMG! Fishing! We even forgot about the fishing.

Finally, when we got ourselves to the « famous fishing spot », it was almost dark and the « late afternoon hatch »…  well, we missed it. It was almost one o’clock in the morning before we got home but our stomachs were filled with joy. I may not be the best of fishermen, but on the question of wild strawberries, I’ll take on anybody.