[READ IN ENGLISH] Je l’avais bien repéré ce coin de ma rivière. Jamais de voiture parquées aux alentours. Bien heureux signe. Et c’est vers 12h00, heure supposée de la fameuse éclosion dite « de midi » que j’étais descendu vers la berge avec ma nouvelle canne et ma boîte de mouche rescapées de l’année dernière. Cette ouverture de la pêche allait être un succès total, j’en avais rêvé et les rêves ne trompent jamais. Il avait un peu plu, les jours précédents et le niveau de l’eau était parfait. Quelques éphémères gazouillaient hardiment alors que je montais fébrilement mon matériel quand un type pas invité fit son apparition. Allure décontractée, pas officielle pour deux sous et pourtant, sortant une plaque dorée de sa poche : « Bonjour, je suis le nouveau garde-pêche. Votre permis s’il vous plaît. »

Et merde ! voilà ma chance. J’avais débarqué la veille du New York et l’idée d’acheter un permis de pêche était la dernière chose qui me serait venue de l’esprit. Aussi, je me mise à mentir le mieux possible : « Bon Dieu de  Bon Dieu !   (là, je fais semblant de ne pas avoir trouvé le permis dans mes poches.) Je l’ai oublié à la maison ce matin ce foutu permis. Il faut dire que le décalage horaire, ça frappe de plus en plus forte à mon âge, bla-bla ..bla »

– « Décalage horaire ? » Me fait le préposé. D’où venez-vous donc ? »

– « De New York City. C’est là que j’habite. »

– « New York ? » Qu’il me fait avec ce délicieux accent occitan « Putain, c’est mon rêve. Ah… New York… le jazz.. moi, le jazz , c’est ma passion. Vous verriez ma collection de 78 tours ! Personne n’y touche. Même pas ma femme. Un trésor. Quelle chance vous avez!

Magnifique sujet, que le jazz et New York pour faire oublier mon permis de pêche et donc, j’embraye à fond. « Vous devriez vous payer le voyage une fois dans votre vie . Avec vos euros, c’est aujourd’hui très abordable et le jazz à New York fait partie intégrante de la vie . Tenez, par exemple il me vient une anecdote. Vous devez connaître certainement le grand artiste peintre Piet Mondrian. Eh bien, pendant la seconde guerre mondiale, il était venu se réfugier à New York et y avait peint un sublime tableau abstrait qu’il avait appelé « Broadway Boogie woogie », oeuvre  inspirée par le mouvement ininterrompu de la ville.


Ce tableau avait été exposé et, à la sortie du vernissage, un groupe de jazzmen noirs était venu féliciter Mondrian et lui avait dit qu’il avait superbement pigé l’énergie, le rythme, le  « jazz » de New York avec cette peinture. C’est pas magnifique  cette histoire ? le jazz est encore partout dans cette « grosse pomme ». Je suis sûr que vous devez connaître ce célèbre morceau de Duke Elligton, le fameux  » A train ». [youtube=http://www.youtube.com/watch?v=cb2w2m1JmCY&w=640&h=500&rel=0]

« Bien sûr ! » Me réplique le garde pêche qui se met à chantonner : «Tra..la la la la, pom pom pom , la la la la  »

– « Exactement ! C’est ça même. Eh bien, croyez-moi chaque fois que je prends cette ligne de métro, la ligne A qui monte sur Harlem, cette musique me hante encore et toujours. Et le chorus de Charlie Mingus continue de se balader dans ma cervelle. Rien à faire. C’est là, et c’est délicieux.

Il ne fait aucun doute que le représentant de l’ordre se passionne pour mes histoires sur New York et moi qui adore raconter ma ville,  je m’enhardis et j’y prends un immense plaisir. Ma canne à la mouche me lance des oeillades assassines (sans doute de la jalousie !) et mes vieilles baetis me font une gueule d’enfer. Je les ignore honteusement et, assis sur de grosses pierres, à l’ombre de deux grands pins, le garde-pêche et moi échangeons nos histoires sur New York avec un bonheur total. Et le soir, en rentrant à la maison, mon adorable femme, me servant un bon verre de scotch, me demande : « Et alors, cette journée d’ouverture, ça s’est bien passé ? » Je ne peux que lui répondre : «ADMIRABLEMENT !! »

I had carefully scoped out this corner of my river.  Never a parked car in the vicinity; a very happy sign. Around noon, the supposed hour of the famous hatch called the « 12 o’clock hatch », I descended toward the embankment with my new rod and a fly box with filled survivors from last year. The opening day of fishing was going to be a great success, I had dreamt it and dreams never lie. It had rained a little the preceding days and the water level was perfect.  A few may flies twittered hardily and I feverishly set up my material when an interloper appeared. He looked pretty laid back, nothing official about him, but pulling out a card from his pocket he said « Good morning, I am the new game warden. May I see your fishing license? »

Shit! What dumb luck. I departed from New York City the night before and buying a fishing license was the last thing on my mind. I started lying as well as I could: « Oh my God, oh my God (pretending to search all my pockets for the license). I must have forgotten the dumb license at home. You know jet-lag gets tougher and tougher the older you get, blah-blah, blah. »

« Jet-lag? » He asked, « where do you come from? »

« New York City. That’s where I live. »

« New York? » he said with that delicious occitan accent. « Damn, that’s my dream. Ah… New York… jazz… me, my passion is jazz. You should see my collection of 78’s. No one touches them but me. Not even my wife. A Treasure. Boy are you lucky. »

Magnificent subject; nothing better than jazz and New York to forget about my fishing license, so I really poured it on. « You should treat yourself to a trip to NY at least once in your life. With the euro exchange today it’s really affordable and jazz is part and parcel of New York City life. For example, an anecdote comes to me; you’ve probably heard of the great artist Piet Mondrian. During WW II  he sought refuge in New York and painted a sublime abstract painting called « Broadway Boogie Woogie » which was inspired by the uninterrupted movement of the city. The painting was exposed and as people left the opening a group of black jazz musicians went up to Mondrian to congratulate him and said that: with this painting he really got it, the energy, the rhythm, the « jazz » of New York. Isn’t that a great story? Jazz is still everywhere in the Big Apple.  I’m sure that you know that celebrated work of Duke Ellington, the famous « A Train ». »

« Of course I do! » replied the game warden humming: « Tra… la la, la la la, pom pom pom, la la la la. »

« Exactly, that’s it. Well, believe me, every time I take the metro, the « A Train » that goes to Harlem… I am consumed by that music, still, and always. And the chorus of Charlie Mingus continues to whirl around in my head. Nothing to do, it’s just there and it’s delicious. »

There’s no doubt, that this representative of law and order was enthusiastic about my New York stories and me, I love to talk about my city, my stories grew bolder and I took immense pleasure. My rod and my flies flung me black glances (jealous, no doubt) and my old may flies were furious; I ignored them, shamefully, and sitting on the rocks under two big pine trees, the game warden and I blissfully exchanged our New York stories.

That night on returning home my adorable wife brought me a glass of scotch and inquired,  « Well, the opening day, how did it go? »

The only thing that I could say was: « Wonderfully ».