Je les avais rencontrés l’année dernière sur la rivière, aux confluences de l’Ardèche et du Chassezac. Dans la quarantaine bedonnante, la panoplie des parfaits pêcheurs à la mouche et un accent du pays qui ne trompait pas. Nous avions pêché ensemble une paire d’heures et échangé des sandwiches rillette / cornichon contre des sandwiches Camembert/ beurre. L’amitié, ça tient à peu de choses. Et, entraîné par l’ivresse de la rencontre, je les avais invités à dîner à la maison.

Ils s’étaient fait beaux comme des touristes nippons. La cravate assortie au veston et les souliers cirés. « Quand on va chez l’américain, faut être présentable » avaient-ils dit. Moi je pensais qu’ils faisaient un peu « plouc » sans leurs waders, mais je me serais bien interdit de le mentionner. Mon adorable femme jouait les hôtes de charme : « Un verre de Campari ? Du bourbon peut-être ? Mais oui bien sûrs nous avons de la Suze ! Etc…

Lorsque nous nous mîmes à table, mes deux lascars avaient perdu leurs réserves et je voyais bien que la prunelle de leurs yeux était déjà un peu trouble quand j’amenais un énorme plat de moules à la tunisienne (à moins que ce soit à la marocaine ou algérienne. En tout cas, ça sentait rudement bon le cumin)

Moules à la maghrébine : deux kilos de moules (des bien grosses, comme des moules d’Espagne. La sauce : huile d’ olive, ail, cumin, persil, sel, poivre. Faites ouvrir les moules dans un grand faitout. Les décoquiller . Garder une demie coquille, y replacer l’animal et remplir l’espace vide de cette sublime sauce. Mettez-moi tout ça au barbecue jusqu’à ce que ça commence à brunir. Servez chaud.

D’habitude, quand je sers ce régal, les invités cessent toute conversation. Ce ne sont que des bruits de langue des Ooooooh,  des AAAAAAh ! des « encore un peu de vin blanc s’il vous plaît ». On frise l’orgasme à chaque instant !

Mais, ce fameux soir, nos deux pêcheurs (appelons les TOTO et CONNO pour simplifier) semblaient imperméables à mes talents culinaires, tant ils étaient distraits par ce sujet de la plus haute importance:  TOTO vantant la puissance de la canne à mouche Sage et CONNO celle des Loomis. Les fameuses moules leur faisait autant d’effet que des glaces italiennes à des Esquimaux. Jamais fait un pareille flop ! Mon côtes-du-Rhône blanc, il le buvait comme s’il s’agissait d’un Canada dry. Je sentais bien comme une frustration faisant monter ma pression sanguine mais, décidait de rester stoïque comme un véritable samouraï ardéchois. Et le plat de résistance arriva sur la table. C’est mon ami Stéphane L. qui m’avait donné la recette de cette merveille : joue de port en daube. Un plat sublime et pas cher. Ça vous font dans la bouche, ça vous rend philosophe et amoureux en bref, un plat comme ça, c’est de l’opium et pourtant…

TOTO et CONNO étaient partis dans une discussion au combien passionnante où il était question de montage de la mouche Subimago ephéméroptère bla-bla-bla. « Non, disait CONNO, La queue de cette mouche exige deux brins de chinchilla cuivré !. « Absolument pas » rétorquait TOTO. Le grand SKUE le dit clairement ; c’est trois brins de poils de zèbre de Lorraine !. Quant au dubbing du corps, c’est évidemment du poil de kangourou cerclé d’un fil d’or du Transvaal. « Kangourou, mon cul, répliquait CONNO. Quelle blague alors qu’il s’agit tout naturellement de peau de lézard du Komodo. Tout le monde sait ça !.

À ce moment, ma femme me lança un regard qui voulait dire :  » Qu’est ce qu’ils sont  chiants ces types, j’ai bien envie de quitter la table. Je lui répliquai par une légère grimace qui signifiait : « Va-y, lève-toi en silence et je te suis dans le jardin. »

Ils ne se sont même pas aperçus de notre fuite, nos spécialistes, occupés à s’envoyer des noms de mouches les plus bizarres qui soient. Nous, on s’est assis sur la grosse pierre du jardin. La nuit était magnifique. Des étoiles comme on en voit que dans les films, une Voie lactée tellement proche qu’on pourrait marcher dessus. Et des petites chauves-souris qui se gavaient d’insectes sans se soucier de leurs noms latin. Comme il faisait un peu frais, j’ai serré ma femme contre moi. Elle  sentait sacrement bon. On s’est allongé dans l’herbe.It was a year ago that I met them at the river, just at the confluence of the Ardeche and the Chassezac; in their forties, a little roly-poly, fly fishing paraphenalia of the dernier cri with a local accent thick as pea soup. We fished together for a couple of hours and exchanged sandwiches (potted meat/pickels for camembert/butter). Caught up in the euphoria of the moment, I invited them to my house for dinner.

They arrived all slicked up like a couple of japanese tourists; neckties and jackets carefully coordinated and spit-polished shoes. « When you are invited to the home of an american, you must be presentable » they said. Frankly, I thought they looked a little « red-neck » without their waders, but I kept that to myself. My adorable wife played the charming hostess: « A glass of Campari or perhaps a little bourbon? But of course we have Suze! » etc.

When we seated ourselves at the table my two new friends had lost their reserve. I saw that the alcohol had made it’s mark as I carried in the enormous plate of Tunisian style mussels (or for all I know, style Moroccan or Algerian; anyway the fragrance of cumin smelled mighty good).

Mussels North African style: 4 lbs of mussels (the big ones). Make a sauce of olive oil, finely chopped garlic and parsley, cumin, salt and pepper. Cook the mussels in a big pot until the open. Shell them. Keep one half of the shell, return the animal and fill it with this sublime sauce. Put all the half-shells on the barbecue until the edges start to brown. Serve hot.

Usually when I serve this feast to guests all conversation stops. The only sounds heard are the sounds of licking and Oooooohs, and AAAAAAhs! as well as: « a little more white wine please ».  It’s a great moment of orgasmic pleasure!

But on this famous night our two fishermen (lets call them TOTO and CONNO to keep things simple) were oblivious to my culinary talents; so distracted were they by a subject of prime importance: TOTO extolling the strength of his Sage rod and CONNO, that of his Loomis rod. The famous mussels had as much effect on them as Italian gelati has on esquimos. Never have I known such a failure. They downed my white Cotes-du-Rhone like it was Canada Dry. I determined to be stoic, well aware that the frustration was making my blood pressure rise. Then the plat de resistance arrived at the table. It’s a marvelous recipe that my friend Stephane L. gave me: Braised Pork cheeks. The dish is not expensive but it is time consuming and absolutely sublime; it melts in your mouth and renders you philosophic and loving, brief, it’s that kind of a dish, it’s opium, and yet…

TOTO and CONNO had gone off on a fascinating discussion; the mounting of a Sumbimago Ephemeroptere fly, blah, blah, blah. « No », said CONNO, « for the tail of this fly you have to use two strands of copper colored chinchilla! »« Absolutely not » retorted TOTO, « The grand Skue clearly says to use 3 strands of hair from a lorraine zebra! As for the body dubbing, it’s evident that it’s the hair of the Kangaroo circled with a thread of gold from the Transvaal. »

« Kangaroo my ass » spit out CONNO, « what a joke, it’s absolutely known that it’s the skin of the Dragon du Komodo. Everybody knows that! »

At that moment my wife shot me a look that clearly said: « What pains in the ass these guys are, I feel like leaving the table right now. » I responded with a light grimace that said: « Do it.  Quietly go the garden and I’ll be right behind you ».

They didn’t even notice our absence, our specialists; they continued throwing out names of the most bizarre flys in existence. Us, we sat on a large rock in the garden. The night was magnificent. The stars were those you see in films, the milky way was so close you could walk on it. And little bats, gorged themselves on insects without worrying about their latin names. As it was a little chilly I hugged my wife close to me. She smelled so good. We laid down on the grass.