Il faisait rudement chaud ce jour là à la terrasse du café «Le Balto », dans cette charmante cité de la côte varoise.

Nous en étions à notre quatrième pastis, le Raymond et moi, quand elles débarquèrent du ferry, les deux souris en nage.

–  » Deux diabolos menthe avec des glaçons !  » qu’elles commandèrent au garçon en s’asseyant à la table voisine de la nôtre.

Le Raymond, lui, ne perdit pas une seconde et approcha sa chaise lentement mais sûrement, comme un guerrier Cheyenne qui ramperait dans les hautes herbes, prêts à attaquer un campement Shoshone. Il faut dire que le Raymond, les filles, il en est dingue et que son accent du cru, plus une gueule d’archange et son sourire à la Brad Pitt, ça aide drôlement. Et comment qu’il l’a emballé, la blonde !  un record de vitesse. Le Fangio de la drague, mon copain. Il la faisait rigoler avec des blagues éculées, tellement tartignoles que je me demandais si la fille n’était pas un peu demeurée.

Et moi dans tout ça ? Il me restait la brunette. Ah, on ne peut pas dire que c’était une reine de beauté cette fille. Mais moi j’avais rien à dire, n’étant vraiment pas gâté par la nature à cette époque. Des cheveux frisés qui se barraient en tous sens dans une anarchie rageuse, une acné à peine dissimulée derrière un bronzage méditerranéen et une timidité de jeunes puceau que j’étais en ce temps-là.

Emmenés par les talents de Raymond, nous décidâmes ( fourbes que sont les garçons ! ) d’aller pêcher des oursins dans une crique dont mon ami connaissait les chemins escarpés.

Après avoir acheté les bouteilles de vin blanc d’usage, les baguettes de pain et s’être muni de ciseaux afin d’ouvrir les oursins, nous prîmes le chemin du  » Gaou « , à la sortie du village.

Les filles poussaient des petits cris comme des cailles. C’était un peu énervant à la fin, mais moi, je ne pensais qu’à une chose : mon putain de pucelage à qui j’allais dire adieu cet après-midi là. Une idée fixe commune à tous les adolescents.

Lorsque nous mirent enfin les pieds sur cette crique tant désirée nous échangeâmes furieusement nos habits contre des maillots de bain de saison. Raymond avait son peigne coincé dans l’élastique de son caleçon car, refaire selon les normes d’outre Atlantique, sa mèche à la Elvis Presley était plus qu’un vulgaire tic chez lui : c’était une religion .

Les filles, à mon grand désespoir s’entourèrent d’une grande serviette munie d’un trou, serviette qu’elles s’enfilèrent par la tête afin de se changer pudiquement. Et immédiatement, elles me firent penser à d’immenses lampes de chevet et je n’arrivais pas à arrêter de rigoler comme un idiot ce qui faisait certainement mauvais effet pour la suite érotique tant espérée.

Raymond et moi, tels des héros de l’Olympe entrèrent dans l’eau, nous mîres en chasse et, une bonne demi-heure plus tard, nos filets à provisions furent remplis de merveilleux oursins. Des noirs, des violacés, tous brillants et remplis de trésors. Ouvrir ces oursins et tremper les mouillettes de pain à l’intérieur en faisant bien soin d’en ôter les oeufs, ces languettes oranges gorgées d’iode est une bénédiction des Dieux. Le tout, le cul sur du sable fin, le soleil vous picotant les épaules et la saloperie de cet horrible vin blanc qu’on buvait au goulot… Ah.. les délices de Capoue devaient être bien fades à côté de ça ! Il faut bien avouer que nous étions tous les quatre, saouls comme des Polonais à la fin du repas et lorsque j’entrepris d’ôter maladroitement le soutien-gorge de la brunette (qui avait paumé ses lunettes) celle ci , pour toute réponse, fit entendre un horrible  grondement  volcanique et un torrent de vomi souilla mon maillot de bain et mes cuisses des deux douzaines d’oursins et d’un bon litre de vin des Rochers (le velours de l’estomac) qu’elle avait ingurgité.

Et quelle puanteur, mes amis, une odeur d’enfer tellement féroce, que je ne pus résister bien longtemps et qu’à mon tour, j’aspergeai  l’abdomen de la pauvre fille d’un jet bouillant et gras.

Peut-être par amitié, le Raymond m’imita et sa compagne n’y résista point.

Lorsque  nous retournâmes au village, la mine défaite et que nous remîmes les gonzesses dans leur ferry, même pas un petit signe de la main, même pas un petit sourire, rien. (La brunette sans ses lunettes failli se casser la margoulette en montant sur le bateau.)

J’ai dû attendre une bonne année avec mon pucelage intact, avant le fameux voyage « Limoge-Paris  » en train couchettes.