À l’époque où je vous parle, nous habitions ma femme et moi, une église désaffectée dans les Catskill Mountains, à trois heures de route de New York. On s’y gelait sévèrement, dans cette église, ce qui était normal. Comment voulez-vous donc chauffer en hiver un endroit pareil avec un compte en banque misérable comme le notre ?

Un jour, par pitié certainement, un gars du coin m’avait donné un coup de main pour rentrer du bois de chauffage, et nous étions devenus amis.

Connaissant ma passion pour la pêche, un soir, il me donne un coup de fil.

– Flèche, ça te dirait de venir demain vers 4h00 du matin à la pêche au saumon ?

– Tu plaisantes ou quoi, Bob ? (Il s’appelait Bob, ce con !)

– Bon, je passerai donc te chercher . Ne t’inquiète pas, j’ai tout le matériel nécessaire .

Vous pensez bien que que ma nuit fut relativement blanche à la pensée de ce voyage.

Il faisait rudement froid dehors à quatre heure du matin et, dans son 4×4 une des fenêtres étant coincée, il ne faisait pas beaucoup plus chaud.

– Aller ! , déclara Bob en démarrant son engin pourri, direction PULASKI…Let’s go !

Pour ceux d’entre vous qui ne le sauraient pas (il doit en rester une petite poignée !) Pulaski est le nom d’un village de merde niché au bord du lac Ontario, là haut, tout au nord de l’Etat de New York,  là où coule la fameuse Salmon river, lieu mythique pour tout pêcheur désireux de remplir son congélateur. Moi à l’époque, je n’en savais rien.

Je ne savais pas non plus en ce temps-là, parler suffisamment l’anglais pour soutenir, pendant ce long voyage, une conversation intéressante avec Bob qui, de toute façon était plutôt du type taciturne et qui, mis à part  de se plaindre et de commenter les fuites d’huile du moteur de sa cochonnerie, n’avait pas une conversation des plus passionnantes. Parler littérature, peinture ou musique était hors de question. Une petite chance peut-être avec comme sujet, les gonzesses, la bière, le congélateur et cet enculé de Bill Clinton qui veut réguler l’achat des armes à feu ..non mais, pour qui qu’il se prend ce type, des fois !

Après trois bonnes heures de route, un énorme panneau sur le bord de la route : «PULASKI, capitale de la pêche « . J’avais bien besoin de ça pour me réchauffer l’esprit et le corps engourdi.

Le Bob, lui, il connaissait la région comme sa poche et  faufila adroitement son 4×4 à travers des chemins à la limite du danger public, des ornières pleines de boues des dernières pluies, des ponts branlants traversant la rivière et, enfin, il coupa le moteur de sa camionnette.

– C’est la, Flèche. Prend cette canne et accroche ce « machin » au bout du fil.

Le « machin » en question était un énorme morceau de plomb d’ou émergeaient trois hameçons certainement assez résistants pour bloquer des TGV en pleine vitesse.

Les rivières, lorsque le jour se lève, sont toujours d’une beauté renversante celle-là n’échappa pas à la règle. Et pour ce qui était de la musique, difficile d’imaginer plus beau concert que le réveil de tous les oiseaux du coin.

-Alors voilà, fit Bob, que je t’explique la technique de pêche par ici. En deux mots, la rivière en cette saison est pleine de saumons qui quittent le lac pour aller pondre. Tu balances le « machin » le plus loin possible et tu le ramènes le plus vite que tu peux avec ton moulinet tout en donnant des grands coups de canne afin d’ accrocher les poiscailles. Tu verras, c’est marrant ! Va te foutre à 50 m d’ici, là-bas, dans le petit  creux des roseaux, et bonne pêche !

– D’abord, laisse moi un moment regarder comment tu pratiques cette technique.

Il ne fallut pas longtemps à Bob pour « accrocher » son premier saumon. Un «  King «  énorme qu’il assomma d’un coup de batte de base-ball.

Pas très sportif, cette pêche-là, pensais-je, mais bon, à l’époque, le «  catch and release, je n’en avais jamais entendu parler. Par contre, ramener  à la maison de quoi manger, balaya rapidement chez moi toute trace de moralité.

Et je me mis au « boulot ».

La rivière était sans aucun doute pleine de  poissons car en moins que rien, je « péchais » un autre King. Par la nageoire dorsale. (Vous ne vous imaginez quand même pas que je l’aurais  pris par les lèvres, quand même !)

Lorsque que, crevés, en fin d’après midi, nous reprîmes la route, l’arrière de la camionnette était chargé de 12 saumons énormes.

Je dois avouer que je n’étais pas très fier de moi, d’autant plus que, dans l’assiette, la chaire de ces pauvres poissons était absolument dégueulasse.

En effet, là ou nous les avions péché, ces saumons, devait être vraisemblablement proche de la région où ils allaient pondre et mourir, d’où l’odeur suffocante qui m’avait fichue la nausée pendant la plus grande partie de cette foutue journée.

Peu de temps après, cette  » technique de pêche » fut interdite dans l’Etat de New York, Bob se fit écraser par un camion frigorifique en traversant la route 28 tout en lisant « La Bible pour les nuls » et sa veuve épousa une semaine après l’accident, un Pakistanais végétarien  en situation illégale.