Vous ne le connaissez pas ! Tapâm, ça vous parle ? Eh ben, je vous laisse faire plus ample connaissance…

Greg: tout d’abord Daniel, peux-tu te présenter ?

Daniel: Je suis un cinéaste et photographe titulaire d’une maîtrise en science géographique / hydrologique. Donc, je jongle entre les deux mondes et je fais du travail à petite échelle afin de créer du « contenu », mais je fais aussi des études sur les poissons.
Je suis né dans le sud de la France mais j’ai un passeport Allemand. J’habite dans les deux pays.

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Comment t’es venu la passion pour la pêche à la mouche ?

Tout cela revient à mon ami Frieder Binder qui m’a initié à la pêche à la mouche à l’adolescence. Le premier poisson pris à la mouche est profondément ancré dans ma mémoire.

Peux tu nous raconter ?

Mes premiers pas n’étaient pas vraiment glorieux, j’ai essayé de pêcher à la mouche à mon adolescence mais sans être aidé. Ensuite, Frieder m’a montré les bases et je n’ai pas mis longtemps avant d’attraper un poisson. J’avais 16 ans. A ce moment là, nous péchions beaucoup les chevesnes et autres petits cyprinidés. Mon premier poisson était un petit chevesne qui a gobé une imitation de terrestre. Il m’a fallu du temps avant de le piquer car les chevesnes ont souvent tendance à prendre les mouches un peu au ralenti. Ce n’était pas du tout un gros poisson. Ceci a changé ma vie, lancer et offrir une mouche à un poisson est quelque chose d’unique. De plus, je suis un visuel, j’aime le spectacle de cette pêche.

Quelle espèce de poisson aimes tu pêcher ?

Je n’ai pas de poisson qui sort du lot. En regardant en arrière, je dois dire cependant qu’il y a eu des phases au cours desquelles certains poissons me fascinaient plus que d’autres. Il y a près de 30 ans, nous avons voyagé en Amazonie, j’étais vraiment fasciné par le Payara. Après, j’ai pêché les flats à la recherche du Bonefish. Au début des années 2000, le tarpon était mon poisson préféré. Aujourd’hui, je les aime tous, eau froide ou chaude, peu m’importe, j’adore être dehors. Mais attends, j’ai deux poissons que j’aimerais prendre mais que j’ai loupé jusqu’à présent. J’adorerais attraper et relâcher un thon rouge dans les eaux du sud de la France et j’aimerais relâcher un beau saumon Atlantique un jour… Je sais que les deux sont des espèces en voie de disparition. Un de chaque ferait l’affaire !
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Bien souvent les pêcheurs à la mouche aiment monter leurs propres mouches, est-ce le cas pour toi ?

Absolument, j’adore le montage. Pêcher un poisson avec une mouche qu’on a fait soi même est l’aboutissement de la pêche à la mouche. Je dois avouer que lors de notre récent voyage en Norvège, nous avons utilisé des mouches montées par Holger Lachmann, un monteur très talentueux.

Et celle pour la vidéo et la photo ?

Frieder et moi avons beaucoup voyagé quand nous avions 20 ans. Nous avions un vieux reflex Canon AE1 avec nous qui me fascinait et j’ai essayé de m’améliorer. Ensuite, c’est la photo sous-marine qui m’a fasciné. J’ai essayé diverses solutions simples. À l’époque, il y avait seulement 36 poses par pellicule, du coup tu te retrouvais vite à sec. On avait l’habitude de voyager avec une dizaine de pellicules FujiChrome Velvia, du coup, nous devions nous contrôler pour prendre des photos pendant un voyage.
En 2006, je me suis immédiatement lancé dans le format complet du reflex numérique et me suis procuré le fidèle Canon 5D, un appareil photo que j’utilise encore à ce jour pour créer des «time-lapse» en 4K.
L’année 2009 a été marquée par la révolution DSLR lorsque le Canon 5D mark II est entré sur le marché, en nous offrant la possibilité de filmer avec un «look hollywoodien».

Tapam est devenu «culte» dans le milieu de la pêche à la mouche. Comment expliques tu cela ? Est-ce que ça a été un tournant pour toi?

Tapâm – Catch Magazine trailer from tapamthemovie on Vimeo.

En effet, Tapâm est un film culte dans la communauté mondiale ! Presque tous les pêcheurs à la mouche connaissent le film. April Vokey a récemment interviewé mon partenaire et ami, Jan Bach Kristensen, dans un podcast sur Tapâm. Elle ne savait même pas que le film avait presque dix ans! Pour moi, ce qui distingue le film à l’époque et encore aujourd’hui, c’est son authenticité. C’est vivre un rêve. Pêcher des énormes tarpons sur des « floats tubes » peut paraître complètement fou au début, comme un truc pas normal ou un « piège à clics »pour attirer l’attention, pourtant, lorsque tu regardes le film, t’es émerveillé de voir à quel point ça marche. De plus, le film a été entièrement tourné sur le Canon 5D mark II, ce qui lui a donné une image jamais vu dans les films de pêche à la mouche. On nous a dit que c’était la première production entièrement tournée à l’aide d’un reflex numérique à l’époque. C’est donc la combinaison d’une histoire inhabituelle et de belles images, créant une ambiance exceptionnelle, qui le rend unique. À l’époque, une des premières personnes a avoir acheté le DVD nous a envoyé un mail, nous disant ceci : « je voulais juste monter des mouches la nuit dernière tout en regardant Tapâm, je n’en ai monté aucune. J’ai gardé ma bobine de fil dans la main et je suis resté bouche bée durant toute la durée du film. Je suis resté scotché devant mon écran ». Cela résume bien ce que le film véhicule.
Oui, Tapâm a changé beaucoup de choses pour moi. Peu de temps après, j’ai tourné Gaula, 7° South, un documentaire sur les truites des lacs européens et bien plus encore. J’ai fait des images pour de grandes chaînes de télévision et même pour le cinéaste Lars Von Trier pour son film « Nymphomaniac ». Mon plus grand pas a été mon travail en tant que coordinateur de production pour l’épisode River Monsters (Animal Planet) sur les tarpons, où nous avons à peu près repris ce que nous avions fait pour Tapâm mais de manière un peu plus dramatique bien sûr. L’épisode est encore diffusé à ce jour dans certaines parties du monde, car le format est un mode multi-diffusion. C’est toujours amusant de recevoir des SMS d’amis qui voient l’épisode quelque part dans un lieu éloigné, lors d’un séjour en famille ou d’un voyage d’affaires.

Durant le film, on voit qu’avec Jan, vous avez marqué des tarpons. Avez-vous eu des retours sur leurs déplacements depuis, car au final on ne sait pas grand-chose de ce poisson ?

Oui, malheureusement on en connaît peu sur les tarpons. Non, on a rien reçu concernant la recapture des poissons qu’on a marqué. Bizarrement, Jan et moi avons buté sur le marquage des tortues vertes qui nous ont été remises par les peuples autochtones lors du tournage. À mon retour, j’ai rapidement consulté en ligne d’où elles venaient et fourni leurs nombres à l’institut de recherche. C’est triste de savoir quel âge avaient les tortues et quelles distances irréelles elles avaient parcourues au cours de leur vie, et de finir en repas sur une plage.

7 degrees south est une vidéo également très bien réalisée. Tu nous montres les trésors halieutiques des Seychelles aux travers différents guides. Comment est né ce projet et pourquoi les Seychelles ?

C’était une collaboration avec la société de post-production sud-africaine RGB et Alpha et moi. Richard Morton de RGB est allé sur Alphonse Island avec l’idée de faire le film ici. J’ai particulièrement aimé le fait de regarder les célèbres guides d’Alphonse devenir des pêcheurs « normaux ». Ils sont nerveux lorsqu’ils piquent un poisson. En plus, si tu as l’occasion de mettre un pied sur Alphonse, tu ferais bien d’y aller :c’est l’un des plus beaux endroits de la planète.
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Lorsque les cannes se sont déboîtées, c’est toi qui les as motivé pour continuer le combat ? Je trouve que ces moments étaient vraiment tops !

Je dois défendre les cannes, elles se sont déboîtées parce que nous oublions de vérifier si les brins sont correctement assemblés. Le bateau et les vibrations du moteur ont tendances à les faire légèrement se déboîter. Les cannes ont été mise à rude épreuve pendant près de trois semaines. Quand elles se sont déboîtées, j’ai simplement dis : tu as toujours le contact, le combat continue. Les cannes ont subit de gros chocs, en particulier celle de Keith Rose-Ines, regardez le sortir une énorme carangue en moins de 5 minutes. Ce jour là, je ne comprends toujours pas pourquoi la canne ne s’est pas brisée en mille morceaux suite à la pression que Keith a mis dessus.

Après, tu as fait également deux films très intéressants, Gaula et Salmo Trutta Lacustris. Comment se passe se genre de tournage ? Comment connais tu les passages de ces poissons migrateurs ? Comment fais tu pour être au plus proche d’eux ?

Gaula a pris au total neuf semaines de tournage avec trois différents voyages, donc c’est largement plus que les 18 jours de Tapâm. Pour Gaula, nous avons pêché tôt dans la saison, mi-juin et après en été, fin août. Ensuite, je suis retourné tout seul pour faire des images subaquatiques de la reproduction des saumons atlantiques. J’adore observer les poissons sous l’eau ;je suis aussi un apnéiste passionné. Je connaissais assez bien la rivière après l’avoir fait en snorkeling quasiment partout. Pendant l’été j’avais déjà le sentiment de savoir où la magie allait opérer en hiver. Je dois avouer que le chef Per Hogval de NFC lodge a été essentiel pour le repérage des poissons dans la rivière et pour me montrer ses frayères préférées. Cela m’a ouvert les yeux sur autre chose et j’ai beaucoup appris. Les filmer sous l’eau est un véritable cauchemar, comme je le dis, c’est plus facile d’aller sur la lune que de filmer les êtres vivants sous l’eau.
J’utilise un système télécommandé maison, capable d’aller sous l’eau, avec un Canon 5D mark II. L’appareil est ensuite placé sur un trépied très lourd. Je peux contrôler la caméra depuis mon ordinateur portable et regarder les images en direct. L’installation du système n’est pas facile, il faut bien cadrer. Souvent ça ne fonctionne pas, mais quand ça marche, les poissons se moquent de l’appareil et la magie opère juste devant.
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Si on revient sur ta filmographie, c’est sur quel tournage que tu as pris le plus de plaisir et pourquoi ?

Chaque tournage est unique ! Je ne peux pas vraiment dire lequel est au dessus. Tapâm tient une place spéciale dans mon cœur d’autant plus qu’il a été fait avec Jan que je considère comme un frère. Gaula était aussi très unique et très enrichissan. Avec le recul, je me rends compte à quel point nous avons eu de la chance de créer ces superbes images, nous étions les tout premiers à utiliser des drones. Je suis très fier des images de la reproduction ce qui nous a valu un prix au Blue Ocean Film Festival cette année-là. Le tournage de River Monster était très spécial, travailler avec Jeremy Wade et son équipe était super, à ce jour, j’ai toujours des contacts avec tout le monde. Pour faire simple, c’est un grand privilège d’avoir fait ou participer à tous ces projets. J’adore être dehors, filmer et faire de la photo.

Puisque tu fais des films et photos en mer, j’ai une question assez simple, qu’est ce qui est le plus technique : faire des images en mer ou en eaux vives ?

Les deux sont complexes, chacun à ses difficultés techniques. Je considère les deux comme mon point fort. Peut être que les photos et les vidéos en mer sont plus difficiles, car pour la plupart des gens, la seule idée de sauter à l’eau en pleine mer provoque un grand stress. C’est aussi un défi car il y a aucune référence de taille, tu te retrouves face à un fond totalement bleu, c’est là que la créativité devient crucial.
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Si j’ai bien compris, tu fais tes photos sous-marine en apnée, qu’éprouves tu en faisant cela ? J’imagine que c’est un moment intense surtout quand tu es nez à nez avec un requin ou un cétacé.

Je ne prétend pas être un grand apnéiste. La plupart de ces rencontres se produisent juste sous la surface, donc tu n’as pas besoin de battre le record du monde. Comme je te l’ai dit, pour la plupart des gens nager en plein océan est effrayant. Pourtant, j’adore ça. En fait, il faut rester calme et profiter du moment ! Si t’es détendu, les poissons pélagique le sentiront et ils resteront près de toi plus longtemps que tu peux l’imaginer. J’ai eu la chance de passer du temps dans l’eau avec des gros thons jaunes, des marlins et des cétacés. Une rencontre extraordinaire a été de passé presque cinq heures avec des thons jaunes. Cette rencontre était très inhabituelle, je déteste le dire mais il semble que ça n’arrive qu’une seule fois dans une vie !
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Sur quoi travailles tu en ce moment ?

Pour le moment, j’ai deux projets qui sont en préparation. Une suite amusante de Gaula, avec Anton Hamacher, que nous venons de tourner cet été. De plus, je travaille actuellement sur un petit documentaire, avec l’Allemand Kristof, sur l’importance écologique des gros débris de bois dans les rivières.
Ensuite, j’ai également des séances photos en préparation pour Hobie et le magazine français Voyages de Pêche.
En fin d’hiver, un retour vers un archipel très éloigné pourrait suivre si tout se passe bien…

Ma fille de 5 ans a une question pour toi. Comment tu fais les photos sous l’eau ?

C’est facile, il te suffit de rendre ton appareil photo étanche ou d’en acheter un déjà étanche, comme la Go-pro par exemple. Prends un tuba, un masque et de préférence des palmes et tu es prêtes pour filmer ou faire des photos sous l’eau. Restes très calme et deviens un poisson parmi les poissons pour ensuite les prendre en photo. Mais attention, tu pourrais devenir accro à vie, les poissons sont magnifiques sous l’eau.

Tu utilises beaucoup la go-pro ou pas du tout ?

J’utilise la Go-pro mais comme caméra principale. J’en fixe deux sur mon appareil photo, par exemple, pour filmer les choses étranges qui pourraient arriver. Les Go-Pros sont très bien pour leur taille mais elles ont aussi beaucoup de limites. Elles ont besoin d’énormément de lumière surtout sous l’eau.

Que conseillerais tu aux personnes qui souhaitent se lancer dans la prise d’images sous marine ?

La photo subaquatique est vraiment différente par rapport à la photo standard. J’ai un appareil photo assez simple avec un super grand angle. Ensuite, approchez vous le plus près possible du sujet afin de voir ses détails et ses couleurs.

Je te remercie infiniment et continue à nous faire rêver. J’espère te rencontrer un jour (peut-être un tournage avec l’équipe du Mouching).

J’adore mes frères du Mouching !
Je suis de retour en France en Avril 2020….

Pour aller plus loin :
www.danielgoez.com
www.gaulathemovie.com
www.tapamthemovie.com
instagram : danielunderwater
facebook : danielunderwater