« Renée, ce sera un lait orgeat pour mon ami Flèche et un mêlé -casse, comme d’habitude, pour moi ! »  Après des années de silence, je retrouvais enfin mon bon ami Sholem Aaron, dompteur de fauves aujourd’hui à la retraite, qui avait en son temps fait les beaux jours du fameux cirque Gavarni. C’est à partir 3ème mêlé-casse que Sholem me raconta l’histoire qui suit. « Je ne te cacherai pas une minute de plus,  mon cher compagnon, que de mémoire d’homme, peu de  dompteurs de fauves peuvent se vanter d’avoir eu autant de succès que moi. Le public se battait pour avoir la chance de m’apercevoir. Les stars Hollywoodiennes m’ouvraient leurs alcôves. Les critiques de Cirq’mag (qui ont pourtant la dent dure) s’entendirent pour me consacrer «meilleurs dresseur de Champagne-Ardenne » (je logeais a Sedan a cette époque), honneur amplement  justifié, soit dit en passant. Dans ma longue carrière, j’ai eu affaire à tout ce que la terre compte de bêtes féroces, du terrible tigre de Sibérie jusqu’au vicieux rat d’égouts. Tant d’histoires exaltantes et pleines de dangers, mon cher Flèche…il me faudrait la collusion d’Alexandre Dumas, Père et fils, pour tout  te raconter. »
Dis moi, Sholem, une question me brûle les lèvres. As-tu jamais utilisé tes immenses talents de dompteur dans le dressage des insectes ? Je sais que ca peut paraître incongru, mais, à part quelques puces savantes, je n’ai jamais entendu parler de domptage d’invertébrés ? [LIRE LA SUITE]le pote de Flèche et ses insectes. « Ah, mon ami, me confia Sholem après avoir englouti son 5 ème mêlé-casse, que ta question me comble d’aise. Le domptage des insectes n’a, depuis belle lurette,  plus de secrets pour moi. Tu n’es pas sans savoir que j’ai pris ma retraite de dresseur depuis maintenant 5 ans, que la passion de la pêche à la mouche occupe le plus clair de mon temps et que le challenge est ma seconde nature. Aussi, l’idée saugrenue pour beaucoup, m’est venue de pêcher la truite sans canne a pêche. Impossible, me diras-tu, et pourtant, grâce à mon talent et mon charme incomparable, j’y suis parvenu. Apres avoir capturé  dans un ruisseau des environs une charmante éphémère, qu’illico je baptisai Esther en souvenir d’Esther Williams qui m’adorait, j’entrepris son éducation »  Excuse moi, de te couper la parole cher Sholem, mais il est bien connu que la longévité de ces charmants animaux ne dépassant pas quelques heures, comme leurs noms nous le confirme, aussi comment as-tu pu prendre la nature de vitesse pour ce dressage incongru ?
 » Tout ca, c’est des foutaises ! » me coupa mon ami. « Il est vrai que, transformée en apéritif a poisson, la pauvre  vie  des éphémères est brève. Maintenant, si on prend le temps et la charité de les élever dans un contexte sain, Chrétien, nourris de mets choisis et surtout, mon cher Flèche, si on les abreuve d’amour comme on le ferait avec un caniche nain ou un quelconque orphelin, à l’abri des mâchoires des prédateurs, la bestiole peut vivre guillerette pendant des années et, crois moi, la baetis peut remplir aisément le rôle d’animal de compagnie. Mais trêves de digression, revenons à la pèche sans canne, objet de mon histoire, si tu me le permets. Apres des semaines de dur labeur, j’étais parvenu à dresser Esther de telle sorte qu’elle était devenue capable d’aguicher  les truites les plus méfiantes grâce à des contorsions  dignes des plus perverses danseuses du ventre du Moyen Orient. Au moment où le poisson, dans des états d’excitation incontrôlables, se jetait sur Esther, celle-ci se déplaçait rapidement par petits bonds successifs, zig-zaguant en direction de mon épuisette où la truite, perdant tous ses instincts se faisait prendre aux pattes comme une débutante. » A ce moment de cette histoire, je me levais de table,  détestant perdre mon temps à écouter des âneries pareilles et laissais Sholem Aaron seul, siroter son 6 éme mêlé-casse.