Le Kalua a navigué toute la nuit, remontant une rivière plus petite (que 200m de large !). L’abondance est un grand maître au Brésil, dans cette tradition de fartura brasilera, que ce soit pour la quantité de nourriture dans les assiettes ou le nombre d’espèce végétale ou animale qui peuple ce pays démesuré. Aussi la nuit en amazonie est noire comme de l’encre. J’ai beau sortir sur le pont écarquiller mes yeux au maximum je ne vois rien… Pas une étoile, pas un reflet, pas même la masse des arbres au loin, ni l’eau à mes pieds.

 A 6h30 du matin, la petite valse des barques à l’arrière du bateau débute et le soleil apparait jaunissant la cime des arbres. Le spectacle est prometteur. Nous sommes loin de tout, dans des zones très peu pêchées.

Comme les eaux sont très hautes pour la saison, Danilo mon gentleman partner et moi avons décidé d’embarquer du matériel de baitcasting. La rivière déborde allègrement, les poissons ne sont plus au milieu du fleuve, mais cachés loin dans les branches et troncs d’arbres de la forêt sous les frondaisons. Très compliqué d’aller coller une mouche là dedans…

Ian gentiment me prête une trique Xtra-Heavy, un moulinet avec manivelle à gauche (yess !) et quelques leurres qui me plaisent immédiatement puisqu’ils sont défoncés de 200 coups de dents ! Nazareno file maintenant vers l’amont, le premier couple de perroquet nous survole en criant d’effroi au bruit du moteur poussé à fond. Le bateau glisse sur le miroir de l’horizon. Excitation.

Nous approchons un des ces innombrables lacs qui communiquent avec la rivière. L’entrée, la bouche du lac, est toujours un des coins favoris pour les gros peacocks bass, guettant les allés et venues d’éventuelles proies ou concurrents.

D’ailleurs au deuxième lancer je me fais corriger mon stickbait il est expulsé d’un bond de 50 cm au dessus de l’eau. Attention les cardiaques ! Voilà qui surprend ! C’est un autre classique de la pêche au tucunaré (peacock bass en portugais, maintenant vous savez !) lorsqu’il ne mange pas il défend son territoire et il le fait avec beaucoup de conviction.

Les lacs qu’ils soient amazoniens normands ou espagnols ont toujours au petit matin une magie faite de brumes humides et de lumières rasantes que l’on ne veut gâcher en faisant tomber le talon de sa canne sur le fond métallique de la barque. Blaam ! Je m’en excuse. Mais Nazareno se marre, pas de problème tranquilo, le tucunaré aime le bruit.

Justement une autre barque du Kalua nous rejoint, c’est Rodrigo, le truculent associé d’Ian, avec sa femme. Rodrigo c’est un carioca (habitant de Rio) qui parle haut à grand renfort de gestes, le genre de type qui vous tape dans le dos la première fois que vous le rencontrez. A la pêche Rodrigo est comme dans la vie, il aime faire du bruit alors il envoie près des troncs d’arbres immergés, tout en pavoisant avec sa femme, un énorme leurre à double hélice qui fait un bruit de tondeuse mécanique à chaque traction : Vroummm, Vroummm… Mais c’est sa femme qui pêche plus discrètement avec un minnow plongeant qui prend sous son nez un petit tucunaré. (C’est chouette une femme qui prend des poissons !) Rodrigo applaudit, commente, s’esclaffe, embrasse mais retourne bien vite à son jouet bruyant. Lui il veut du gros !

De notre coté on a rien pris dans ce lac incroyable où les lianes tombent sur des arbres morts, où les buissons s’écartent pour créer des cavités qui feraient de belles cachettes pour les poissons. On laisse le boss faire son raffut et nous filons dans un autre spot.

Alors que nous sommes plein gaz, soudain Nazareno pousse la barre et voila que nous nous précipitons droit sur la forêt. La barque décélère et s’approche de la végétation. Nazareno lance les gaz et comme dans un bon film d’Indiana Jones la couverture végétale s’ouvre et nous rentrons dans la forêt inondée. Délire ! La barque louvoie pendant 10 minutes dans un dédale d’arbres, de lianes, de branches flottantes. Puis deuxième surprise, il y a un bateau devant nous, mais cette fois ce ne sont pas nos copains mais des concurrents ! J’envoie un Bom Dia qui ne fait pas écho, seul les guides s’échangent un signe de tête. Nous leur laissons le lac sur lequel nous venons de déboucher mais Nazareno ne se dégonfle pas et continue a tracer sans ciller. Et nous alors ?

Heureusement il y avait un deuxième passage au fond du premier lac, Danilo décidément plein de surprises en profite pour philosopher. Ça me rappelle l’histoire du banc de Jean-Paul Sartre, me lâche t’il alors que nous nous baissons pour éviter les branches qui passent a 20 cm du bateau. Ce sont les deux gars qui arrivent dans un parc public et chacun veut aller vers le banc et chacun pense qu’il lui appartient… Dieu merci sur ce deuxième lac il n’y a personne ! Et comme tous les autres il a l’air prometteur.

Après quelques lancers dans les couverts, je décide le lancer débile au milieu du lac. Mon leurre se fait attaquer quasi instantanément par un truc qui a pas l’air très gros mais qui se défend. C’est un poisson-chien, un cachorro, une bestiole préhistorique avec deux dents démesurées pour sa taille. La prospection continue. Apres 15mn nous arrivons au bout du lac, avec justement un de ces petits courants qui s’enfoncent dans les feuillages. Danilo lance son leurre et en trois tours de manivelle il est attaqué, mais pas piqué.

Danilo accélère la récupération et le poisson est toujours derrière. Il ne reste plus que 15m avant le bateau, il y a un V, le leurre zigzague, le poisson est dessous. Enfin le poisson agacé à donner un coup de gueule et voilà Danilo tout content avec un peacock d’1kg bien vigoureux. Alors qu’il est entrain de décrocher le poisson, Nazareno dont les yeux brillent maintenant avec intensité, me dit Lance ! Lance ! Mon stickbait blanc à peine atterri ne fait pas trois mètres qu’il disparait quasi sans un bruit, happé par une force sous-marine qui laisse quelques bulles en surface.

Ferrage à distance et gros rush dans ma canne, je mouline comme un sauvage pour garder le contact et empêcher la bête d’aller dans les arbres morts. Ça tire mais ma canne est tellement raide que (je pourrai ramener une voiture !) le poisson est maté assez rapidement. Le peacock arrive au bateau, Nazareno sort son boga grip, le poisson est épais et musclé, assez sombre. Il accuse les 3kgs. C’est un début..

Sur ce même spot nous pêcherons une demie douzaine de poissons et j’en prendrai aussi à la mouche. La pêche semble s’améliorer dans le paradis amazonien…