Ça faisait un bout de temps que j’étais installé sur la rivière, juste après la petite chute d’eau, là où je savais qu’une flopée de poissons venaient faire la sieste. J’en avais capturé certains qui dormaient et que j’avais remis paisiblement dans leur lit, les avais bordé sans même qu’ils ne se réveillent.

C’est alors que je le vis, ce fameux canoë, descendant la rivière. Bien sûr, je me mis à maugréer : « Saloperie de touriste qui va me bousiller mon coup ! »

Mais lorsque je vis la pagayeuse d’un peu plus près, je me gardai bien de l’insulter. La raison ? Une fille d’une telle beauté, ça ne vous passe pas tous les jours devant les yeux. Belle ? Non pas. Féerique, c’est déjà plus proche de la vérité. ! Et là où l’histoire prit de l’épaisseur fût quand nos regards se croisèrent, que le canoë ralenti et que la déesse se mit à me sourire. Putain de sourire… De l’opium de la qualité la plus pure, j’étais comme tétanisé.

Ma ligne s’était arrêtée toute seule de fouetter l’air, ma mouche me faisait la gueule et, la mâchoire ouverte, je me demandais si tout ça était du lard ou du cochon, si le soleil ardéchois ne m’avait pas détraqué la ciboulette.

Et puis, lorsqu’elle échoua son embarcation près de moi, je m’aperçus que la Vénus était aussi peu habillée que celle peinte par Botticelli quelques centaines d’années plus tôt.

En bafouillant d’émois, j’essayais d’engager une difficile conversation. (La belle était hawaïenne et ne parlait pas un traître mot d’ardéchois. Et moi, je ne savais dire en tout et pour tout que » HULA HOOP » dans le langage des îles des mers du Sud, ce qui limite considérablement les échanges oraux. )

Par contre, le langage des mains pris vite le relais et, au bout de trois magnifiques semaines, planqués au bord de cette rivière,  ne nous  nourrissant que d’amour, d’eau fraîche, de truites d’ élevage et de quelques racines aux vertus aphrodisiaques, nous décidâmes de nous marier  » à la sauvage « , dans nos fourrés secrets à l’abri de la civilisation.

La belle Puanani (c’était son joli nom !) avait par erreur était baptisée catholique à Honolulu par un prêtre ivrogne et donc, insista  pour que notre union soit officialisée par l’église.

Difficile de dénicher un curé dans ce coin perdu de la rivière. C’est alors que je me souvins d’un livre que j’avais emprunté à une sorcière locale, ouvrage qui parlait du fameux « poisson évêque » et autre bizarreries de la nature.

Ces poissons évêques étaient des sortes de créatures fabuleuses mis-homme mi poisson proches de la sirène , les écailles de leur tête avait la forme d’une mitre tandis que que les nageoires mimaient la robe que portent les évêques durant l’office. Ces poissons ont été décrits au 16e siècle par les naturalistes Belon, Gesner, Rondelet et par le médecin Ambroise Paré.

Un poisson évêque aurait été capturé par des pêcheurs dans la mer Baltique en 1433, et amené à la cour du roi de Pologne. Il fit signe de vouloir regagner la mer, ce que le roi fini par lui accorder sous la pression d’évêques catholiques auxquels on avait présenté la créature. Celle-ci les remercia par un signe de croix puis disparut dans la mer.

Mais me direz-vous, comment pêcher un poisson évêque ? Eh bien, c’est très simple, nous dit le grimoire.

En mélangeant habilement des poils de cervidés avec des poils pubiens, il vous suffit de confectionner une mouche ayant la forme d’un crucifix. Ce que je fis sur place et à mon grand étonnement, au premier lancer, capturait un de ces étranges poissons évêques qui, sans se faire prier nous maria sur-le-champ.

C’était il y a une trentaine d’années (comme le temps passe vite !) Et aujourd’hui, la belle Puanani et votre serviteur continuons de filer le plus parfait amour.

( Bien sûr, nous avons relâché le poisson évêque immédiatement la cérémonie nuptiale achevée! )

« Tu ne tueras point ! » insistent les Évangiles .