C’est mon ami Adrian qui n’avait mis au parfum :  » Flèche, si tu aimes. comme je crois le deviner, autant que moi, le goût subtil et enivrant des poissons fumés, il existe un endroit fait pour toi. À deux pas d’ici, à Brooklyn, dans une rue industrielle paumée et sinistre, se trouve une sorte d’usine qui « fabrique » toutes sortes de ces bonnes choses, je veux parler de saumon fumé, hareng fumé, tout ce qui se fume (à part les joints) se trouve dans cet incroyable endroit et, tous les vendredis matin, ils ouvrent leurs portes aux particuliers. Moi, les poissons, si je pouvais je ne me nourrirai que de ça, matin midi et soir. C’est ainsi, je n’y peux rien, c’est quasiment génétique.

Vous pensez bien donc, que le vendredi suivant, j’étais au rendez-vous et que Adrian ne m’avait pas menti. La caverne d’Ali Baba des poissons fumés, c’était donc vrai, ça existait. Docilement, je fis la queue devant des étalages couverts des plus magnifiques poissons proposés à la vente. Des couleurs profondes du rose clair à la terre de sienne brûlée, du sec et de l’humide, des odeurs divines, et une file de gens qui salivaient et dont les yeux brillaient de désirs et de rêves devant tant de beauté et d’orgies futures. On pouvait entendre les conversations furtives en polonais, en russe, en espagnol, créole, français, en langues inconnues… On pouvait goûter à tout ces trésors, commander 500 g de celui-ci, 250 g de celui-là, tâter, soupeser, imaginer le bonheur proche et bien sûr en ramener toujours trop à la maison à des prix défiant toute concurrence.

Et, la semaine dernière, mon grand copain Alun, autour d’une bonne bouteille de côtes-du-Rhône, me raconta l’histoire suivante à propos de cet endroit magique. Une histoire qui, depuis, me donne le vertige : tenez-vous bien !

Tous les premiers vendredis de chaque mois, une bande de fêlés de course à pied (dont Alun fait partie) se donne rendez-vous à 7h30 du matin au bord de Mc Carren Park, à Brooklyn, tous revêtus d’un tee-shirt couleur rose saumon. Pourquoi donc ? Et c’est là que ça devient grandiose. Cette bande de doux dingues poètes, ce jour béni, décident qu’ils deviennent des saumons l’espace d’un moment, et cavalent dans les rues de Brooklyn à contresens du flot des voitures, exactement comme les saumons à contresens du flot des rivières et, après avoir couru trois ou quatre miles, finissent leur périple dans cette sublime usine de poissons fumés, font leurs emplettes qu’ils vont ensuite déguster au bord de l’East River. C’est pas une histoire merveilleuse, ça ? Bordel, je sens que je vais me mettre à la course à pied…