Je déambulais hagard, l’œil humide, le regard torve. Je n’entendais que le bruit de mes pas sur le trottoir mouillé, la circulation semblait m’accompagner et je longeais le boulevard comme on longe une rivière. La pluie qui coulait doucement dans mon cou ne me dérangeait pas plus que ça, les gens ne semblaient pas me voir et plusieurs fois je dus éviter des parapluies égoïstes.

Franky, avait eu un sacré coup de bol, gagner comme ça, avec une paire de dix. C’était bien ma veine. Il me faudrait encore raconter des mensonges impossibles, faire semblant, inventer des cracks, ma tête me paraissait ne plus pouvoir tenir à tant de pression. Que dire à Marianne, j’ai perdu l’argent du loyer ? Elle ne me pardonnerait plus. Elle en avait trop vu et je le savais, mais c’était plus fort que moi, je ne  pouvais pas m’empêcher d’aller rejoindre Franky. Au début nous étions camarades de pêche. Je l’avais rencontrer au Flyfishing Club de l’Ouest, un nom à la con pour un truc prétentieux où entre deux whiskys et quelques sorties au bord des rivières normandes avec des peignes-cul, on montait des mouches et on se tapait la cloche. Bref au bout de deux ou trois sorties, Franky, alors que nous avions pêché sur la Touques, mis cap sur Trouville avec son Alfa. « On dira qu’on a fait le coup du soir et qu’on a dormi dans une auberge ». C’était si net que je ne pouvais rien répondre. Et puis ce fut la première d’une longue série. Nous nous inventions des voyages presque tous les week-end et passions notre temps à Enghein, Trouville, Forge les Eaux… pour finir, raide, dans des tripots véreux d’où l’on nous chassait le matin au milieu des alcoolos, des putes et des travelos.

La pluie m’aveuglait, mais un néon rouge attira mon attention “Joséphine, avenir, amour, argent “. J’étais aimanté, je restais là, sous les gouttes, devant la vitrine noire a regarder le néon clignoter comme un ciel d’auto-tampo. Je regardais dans ma main, les quelques pièces et billets qu’il me restait.

Mon doigt trempé glissa sur la sonnette, qui sembla pourtant fonctionner, j’entendis des pas dans un couloir, la porte s’ouvrit : “c’est pour Madame Joséphine, attendez dans la pièce“ et la fille en talons disparu derrière un rideau en perles, la lumière rouge faisait plutôt penser à un claque qu’à autre chose.

Je m’assis sur un fauteuil capitonné et des gouttes d’eau continuèrent de couler de mes habits. Je les regardais glisser sur le tissu de mon pardessus, elles semblaient vivantes, avec une vie bien à elles. La fille revint me chercher et me dit : “Madame Joséphine vous attend“. Je me levais d’un coup, puis hésitant me mis à suivre la fille jusqu’à une porte qui s’ouvrit devant moi. La lumière était rouge, un parfum léger et en même temps présent, dans la pénombre j’entendis une voix chaude et rauque me dire “Alors comme ça vous avez tout perdu ? Asseyez vous, mettez vous à l’aise“. Je vis un canapé en cuir noir, je m’y assis. Devant moi, par terre, sur un tapis multicolore, se fondant aux murs de velours rouge, elle était là. Elle savait tout.

CK

Joséphine by CK & Flechemuller