Fais briller les soies ! on part le 23 ma poule ! Le coffre sera plein de rillettes, pains de campagne, saucisson de l’Aveyron et une belle tranche de Laguiole bien jaune ! 
Quant à nous, de profond fauteuils de cuir en peau de porc accueilleront nos augustes derrières, l’ipod à fond la caisse nous dévalerons ce long ruban qui, des plaines monotones de la Beauce, nous amènera aux sinueuses et enchanteresses départementales du Massif Central, là où traversent les hérissons qui musardent sur le goudron pour avoir les pieds au sec !
Sur un plaid d’Ecosse, nous nous allongerons, toi et moi, au bord de l’eau et en dégustant notre pique-nique pantagruélique, nous observerons d’un oeil excité les courants où dansent les truites qui nous ont attendu tout l’hiver. 
Transportés par notre joie, nous laisseront des reliefs qui nourriront les fourmis et les musaraignes, alors que dans l’eau fraîche, à pas de sioux, nous avanceront dans l’onde et même si les truites polissonnes nous narguent en regardant passer nos mouches d’un œil amusé, cette promenade printanière nous aura redonné notre âme d’enfant, celle qui nous plaît tant.
Les rillettes seront de cochon ! L’oie ou le canard, c’est pour les chapeaux à plumes !
Tu vois, mon cher Oli, comme le bonheur est parfois si simple que l’on en oublie d’aller le chercher.
Affute tes hameçons et coiffe tes mouches !
Nous dormirons du sommeil du juste.
Sur la route, entre Aumont d’Aubrac et Saint Chely d’Apcher, à plus de 180, j’ai fait un rototo. 
Nous allions tellement vite, que le son ne nous est pas parvenu aux oreilles, mais qu’il a rebondit sur la lunette arrière de ma fougueuse R16 et nous est arrivé avec un léger décalage. 
L’odeur, elle, a su prendre place dans l’habitacle cosy, et rapidement la bonne odeur de cuir a été remplacée par celle des pieds de cochon sauce gribiche que je m’étais enfilés hier midi au pique-nique. 
C’est fou le temps qu’on met à digérer ces trucs là.
Tout d’un coup, je ne ressentais plus rien du présent, mon esprit m’avait transporté immédiatement sur notre petit promontoire, au dessus du Tarn, dans les gorges. Là où le doux soleil du printemps nous réchauffait, les mésanges piaillaient en sautillant. 
A ma droite, “Oli”, refusait d’un air dégoûté les pieds de cochon. 
J’étais heureux, j’allais avoir double dose. Deux moitiés de pied, ça allait me faire un pied entier. 
Mon visage s’illuminait, mais je me demandais si c’était le pied gauche ou le pied droit de la bête? L’avant ou l’arrière ? 
Ces questions restaient en suspend alors qu’il était temps de retourner au bord de la rivière, car il était déjà une heure, et les poissons n’attendent pas que passent les éclosions. 
Par le pare-brise, le paysage défilait à toute berzingue, ça et là des tas de neige sur les parties exposées au Nord, nous filions vers Paris et la radio gueulait “Bright Lights, Big City”…
Rien n’avait plus d’importance, j’avais en bouche le bon goût des pieds de porc, j’étais heureux.
Petit, dans mon village aveyronnais, notre voisin, Monsieur Faux, était saigneur de métier, et tout au long de l’hiver, les matins étaient rythmés par les cris des cochons qu’il égorgeait, la neige était maculée d’un beau sang rouge, l’air sentait bon le poil brûlé, et dans de grands seaux, on récoltait le sang pour en faire du boudin, sur la cuisinière, dans un nuage de buée, étaient nettoyés des mètres et des mètres d’intestins qui serviraient au boudin, fricandeaux, saucisses, saucissons. Les femmes s’affairaient dans un brouhaha où l’on pouvait distinguer le bruit de couteaux aiguisés au fusil pour mieux découper le gras. Je regardais tout ça d’un air émerveillé, comme dans un rêve. Il fallait se dépêcher pour manger la sanguette, mets délicieux qui n’étais donné que ce jour du saigneur ! 
Ensuite, guirlandes de saucissons, colombins de boudins, tortillons de saucisse, tout filait dans la cheminée et on lavait les grandes dalles en pierre du sol avec de l’eau bouillante, c’est dans ces nuages de vapeurs que les jambons, la vendreche et le lard prenaient le chemin du saloir.
Dans le ciel bleu du matin, une buse tournait à la recherche d’un mulot, curieux de ces premiers jours du printemps. Nous glissions sur le bitume traversant l’Aubrac dans un feulement, le moteur ronflant en dessous de 4000 tours minutes. Je ne pense plus à rien. “Oli”, qui a son tour à senti les relents du pied de cochon, me dévisage. Sous mes ray-bans je ne moufte pas, je monte le son de l’auto radio, nous seront à Paris dans moins de six heures. La vie est belle.
CK