C’est lorsque Stanislas W. est entré dans le magasin de pêche sur Manhattan Avenue que tout a commencé. Sur le mur, près de la porte, était accroché une affiche qui disait à peu près ceci : « Grand concours de pêche à Brooklyn . Premier prix : 500 $ ». Le vendeur du magasin a demandé à Stanislas : « Vous désirez vous inscrire pour le concours ? »[READ IN ENGLISH]
Ben, a répondu Stan, il y a du monde dans ce truc-là ?
– C’est pas pour dire , a répondu le type derrière son comptoir. Et du beau monde, et des fines gaules. Tiens, pas plus tard qu’hier soir, un gars de Williamsburg, Mimo Paladino, ou un nom de rital comme ça, a enregistré un poisson, un stripped- bass de 40 livres. D’accord, ce serait à Montauk, tout au bout de Long Island, ça semblerait presque ordinaire. Mais dans l’East River à Brooklyn, ce poisson c’est un véritable monstre, pas vrai ? Ça ne m’étonnerait pas que ce Mimo-machin chose remporte le Grand prix !
À ce moment, avec un peu d’attention, on aurait pu voir les rouages du cerveau de Stan se mettre à fonctionner à plein régime, chose extrêmement rare chez ce type.
– « Bon, supposons que j’achète un poisson de 50 livres. Ça me coûte… mettons… dans les 80 $. Que j’enlève de 500, il me reste… dans les 400 $. Et putain, avec 400 $, je peux changer les pneus avant de ma Subaru “station wagon”, m’acheter quelques bonnes bouteilles de bourbon « Quatre roses » et aller faire une petite causette chez Myrna, la petite pute de Métropolitaine avenue.
Sitôt dit, voilà le Stanislas à cheval sur son vélo, traversant le pont de Williamsburg en direction de Chinatown. La vue fantastique de Manhattan, en haut de ce pont, il n’en a rien à foutre, le Stan. Une seule idée dans la tronche, ramener un poisson trophée et empocher le pognon du concours de pêche. Arrivé vers Delancy avenue, il parque sa bécane , fonce chez le premier poissonnier chinois et lui dit : « Je veux un poisson de 50 livres, et surtout un bien frais ! » Le chinois lui montre un énorme cadavre de poisson et lui dit: « Comme ça ? »
-Il est bien frais ce truc-là ? Lui demande Stan.
– Encore plus frais que moi, répond le poissonnier
– Vendu ! Qu’il fait le Polonais.
_Faut qu’on vous le vide ?
– Surtout pas. Répond Stan.
Cinq minutes plus tard, il ficelle un gros cercueil en carton renfermant son Grand prix, sur le porte-bagages son vélo, et c’est reparti pour Brooklyn. La montée du pont est rude, chargé comme il est le pauvre bougre.
« Juré, j’arrête la cigarette ! Qu’il fait pour la cinquième fois de la journée.
Et c’est en sueur mais glorieux qu’enfin, il pénètre dans le magasin de pêche, qu’il ouvre la boîte en carton et que, le sourire aux lèvres il annonce : « Tiens mon pote, voilà ce que je viens de pêcher dans l’ East River, du côté de Long Island City. Mais je ne vous dirai pas l’endroit exact, c’est mon secret.
À ce moment, le marchand de canne à pêche éclate de rire : « Vous vous foutez de ma tronche ou quoi ? Ce poisson c’est un mérou du Pacifique. Vous avez déjà vu un mérou dans la rivière à Brooklyn ?
Le soir même, Stanislas a invité trois de ses amis de Cracovie qui bossent chez Poler Construction sur North first street, à venir bouffer le mérou.
D’après ce que j’ai pu glaner, trois jours après, ils étaient encore à la Saint-Vincent hôspital pour cause d’empoisonnement alimentaire.
Le chinois de Delancy, lui il s’en branle.
