Lorsque j’ai annoncé à mes proches qu’une de mes meilleures amie à New York était une vraie nonne, on m’a pris, au mieux pour un blagueur (que je suis), au pire pour un sombre crétin (qu’il m’arrive souvent d’être) et pourtant pour une fois, je ne mentais pas, il n’y a pas plus  » nonne  » que Sister Karol.

Mais attention, pas une classique nonne, les yeux perdus dans les cieux, les mains jointes et ne buvant que de  l’eau bouillie.Ah ça non ! Grâce à Dieu! Karol au contraire est virulente comme un jeune cheval, toujours prête à rigoler,  n’ayant pas peur d’afficher des opinions politiques qu’on pourrait qualifier  en France  » d’extrême gauche »(chose rarissime aux USA !) ,défendant les droits des homos, grande amateur d’art le plus farfelu (Elle a même acheté de mes travaux, c’est pour dire !) et grande amoureuse de bonnes bouteilles de vins fins  et de tequila.

En plus de ça , Karol est une star incontournable à New York, connue pour ses émissions à la radio, ses livres profonds et hilarants et qu’elle pêche à la mouche comme vous et moi (en vérité, bien mieux que moi) et qu’on s’adore. Ça vous va comme ça ?

Il y a quelque mois, en pleine nuit, Sister Karol  me donna un coup de téléphone:

« Flèche, il paraît qu’il y a des éclosions fantastiques de « March Brown » sur la Beaverkill dans les Catskill Mountains. Enfile tes waders en vitesse, je passe te chercher. »

Refuser une partie de pêche avec Sister Karol équivaudrait à un crime de lèse-majesté, au courroux du seigneur, que sais-je encore… à une faute de savoir vivre impardonnable. Aussi, lorsqu’elle tambourina a ma porte, j’étais fin prêt pour deux heures de route et de rigolade avant d’arriver à Roscoe , village mythique sur les bords de la Beaverkill.

Quel magnifique rivière que cette Beaverkill ! Et dire que dans les années 1900, c’était un dépotoir pour toutes les usines à papier des environs. Plus un seul poisson, plus un seul insecte à des kilomètres. Morte, la rivière, aussi morte qu’un seau de cendres.

Et puis, l’honorable  M.Rockefeller se mit à acheter des miles de berges et terrains avoisinants, avec entre autres comme objectif de foutre la paix à la rivière , de redonner à cette vallée sa beauté perdue et, moins d’une dizaine d’années plus tard, cette rivière était de nouveau pleine de truites et aujourd’hui, les pêcheurs à la mouche de tout le pays se batteraient presque y lancer leurs lignes.

Sister Karol arrêta son automobile pas très loin de  » Junction Pool  » et sans perdre de temps, sa mouche spéciale « Super God » alla se poser juste derrière le petit rocher avant la cascade et, pof ! Elle disparue , happée par quelque chose de très gros.

Sister Karol, c’est pas une manchotte, ça je peux vous l’assurer, car à peine le temps de dire son bénédicité, une superbe fario se retrouve dans l’épuisette.

« Hey Flèche, qu’est-ce que tu dirais d’une truite aux amandes pour le déjeuner  ? »

« Quelle question, ma soeur. Tu connais mon amour pour les bêtes… cuites à point !

Alors,Karol prend la truite dans ses mains, met un genou à terre et se met à réciter en latin un truc qui ressemble à une prière  afin que les dieux lui pardonnent l’offense du sacrifice d’un si bel animal .

Et alors là, que je sois pendu, mais je crois entendre clairement la truite lui répondre : « Amen ! » juste avant que Karol ne l’envoie, d’un coup derrière la tête, gober dans les vignes du seigneur.

Environ deux semaines après cet événement troublant, je ne me trouvais assis autour d’une table bien mise chez ma bonne amie Gracie M. à qui je relatais cette affaire. Elle me regarda droit dans les yeux avec un petit sourire narquois et me dit:

« Flèche, tu es certainement le seul à New York à ne pas savoir que Sister Karol, en plus de toutes ses qualités est également passée maîtresse dans l’art de la ventriloquie . »