Tout le monde dans le quartier le connaît et l’apprécie, le Junior. On devrait même lui dresser une statue avec des fleurs, à mon ami, pour services rendus à la communauté. Pensez donc ! Le nombre incroyable de jeunes en perdition qu’il a remis dans le droit chemin, jeunes drogués ou dealers en tout genre, apprentis gangsters et rats de ruisseaux. Il leur a appris à se tenir droit et à bosser dur au lieu de se retrouver en cabane. Allez hop ! Tu démontes le moteur pourri de cette Chevrolet, là, sur le trottoir de North First street et tu me le remontes tout propre comme quand il est sorti de l’utérus de sa maman !
Et lundi dernier, bien installé sur le trottoir, assis sur une chaise de camping, protégé du soleil par un auvent qu’il vient d’installer, je le vois, mon ami, en train de bricoler comme d’habitude, sauf que ce jour-là, il répare comme il peut des moulinets d’un autre âge et rafistole des cannes à pêche toutes juste bonnes pour la poubelle.
– Qu’est-ce que tu fous, Junior ?
– Ben.. Tu vois, Flèche, je répare du matériel de pêche pour refiler à des gamins du quartier et, quand j’aurais fini, on se casse tous à Rockaway pour faire chier les poissons et les crabes.
–Hé… Attends une seconde… J’irais bien avec vous, moi. Justement, ma canne à mouche se chope de l’arthrose si je ne la sort pas de son étui et lui fait pas prendre l’air de temps en temps.
– Pas de problèmes, Flèche. Je ne préviendrais à l’avance du jour et de l’heure
– Tu prends ton bateau avec toi ?
– Pas qu’un peu, mon collègue. Je viens de changer de carburateur et si tu voulais, tu pourrais traverser l’Atlantique avec, pour rentrer en France. Sans déconner !
Au fait Flèche, est-ce que je t’ai raconté notre sortie de pêche avec Oscar, Denis et toute la bande du quartier, le mois dernier ?
– Non, je suis tout ouïe.
– Ben voilà. On avait décidé d’aller à la pêche du côté des Hamptons, à Long Island, et on avait décollé vers huit heures du soir avec les bouteilles, le gueuleton, sans oublier les gonzesses, tu penses bien. Le bateau fonçait..j’avais presque pas besoin de tenir la barre. On aurait dit un clébard apprivoisé qui connait le chemin de sa gamelle.
La mer était d’un calme, de l’huile d’olive première pression à froid
C’est Oscar le premier qui a débouché sa bouteille de tequila, de la « BARIO QUEEN « s’il te plaît ! Et puis, Denis a surenchéri avec de la vodka. Une vraie saloperie ce machin ! Tant et si bien que vers minuit, après avoir jeté l’ancre, on ronflait tous. Même les femmes faisaient parti de l’orchestre. La pêche ou n’y pensait même plus tellement que de se faire bercer par la petite houle, c’était bonnard !
C’est vers trois heures du matin que les choses se sont gâtées. Je vais te dire, Flèche, et souviens- en toi : « Une mer trop calme, ça cache toujours quelque chose de pas catholique ! »
En tout cas, nous voilà bel et bien coincé au milieu d’une saloperie de motherfucker de tempête. Je ne te dis que ça. Et, comme cerise sur le gâteau, l’ancre s’était détachée et on avait dérivé tellement qu’on ne voyait plus les côtes de Long Island.
En deux mots, je n’avais pas la moindre idée d’ou on était. Paumé en quelque sorte…
Et le bateau qui menaçait de chavirer à tous moments. Putain, on n’en menait pas large et j’ai bien cru qu’on allait être transformé en « CANIGOU « pour requins affamés. Les bonnes femmes hurlaient de peur et, quand elles avaient cessé de hurler, elle nous vomissait dessus. Heureusement, les vagues énormes nettoyaient cette puanteur.
– Dis moi, Junior… comment ça s’est terminé cette aventure. Apparemment, tu es toujours vivant non ?
– Un bol d’enfer, je te dis ! Par le plus grand des hasards, des garde-côtes qui patrouillaient dans la région nous ont repêché alors que le bateau était presque rempli de flotte malgré nos efforts pour écoper.
Bon, mais attend, Flèche. Ça, c’est rien à côté de la foi ou Oscar a failli se faire bouffer la bite par un requin quand, l’été dernier, on avait été pêché des crabes vers Coney Island…
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A ce moment, je me suis mis à penser que peut-être, d’aller à la pêche avec mon ami portoricain, n’était pas la meilleure idée de l’année. Et je prétextai une méchante grippe le jour où il m’appelait pour la fameuse partie de pêche avec les gamins du quartier.
PS : Depuis, Junior m’a annoncé qu’avec Denis, ils avaient acheté un vieil hélicoptère qu’ils avait mis dans un garage à Long Island City et qu’ils avaient le projet de le réparer.
– Et ou tu vas le mettre, cet engin quand il marchera ?
– Ben, mais voyons… sur le trottoir à côté du bateau, quelle question idiote.
Voilà, il est comme ça, Junior, mon pote et notre petite rue de Brooklyn, la North first, est pour sûr, la plus belle rue du monde entier.