dantzic
Williamsburg, aujourd’hui est un quartier de Brooklyn relativement prospère avec une criminalité en forte baisse.
Ça n’a pas toujours été le cas..
Il y a bien longtemps de ça (je venais a peine d’emmenager) quand “Junior”, le vieux garagiste de North First Street, m’annonça la nouvelle du siècle.
“Il y a de nouveau des Stripped bass dans l’East River, parait il. J’ai un copain Cubain , Roberto,le boulanger de Grand Street, qu’en a chopé un pas plus tard qu’hier !”  Aucune idée de la raison du retour de ces poiscailles dans un pareil dépotoir… Je suppose qu’ILS ont dû nettoyer la rivière…” I Fucking don’t know !….Hey Frenchy,you wanna try your luck ? ” me dit il en me tendant une vieille canne à lancer, prête surtout a être lancée dans la première poubelle venue…
Sur le chemin de la rivière, entre Bedford et Mythe Avenue, je croise un drôle de cortège. Une famille de Latinos au complet, hombre, mujer y bambinos, tous munis de canne antédiluviennes et de seaux puant la sardine, se dirige , à la queue-leu-leu en direction de l’East river.
Ils sont tous endimanchés, gominés de frais. Ça rigole pas, c’est du très sérieux. Pas intérêt a les sermonner avec des “No kill” ou des “catch and release”. Ils sont en route pour “The bacon on the plate”. Ce soir, le “stripped bass” devra être sur la toile cirée. Oubliez le sport. Ici, c’est de la survie.
Je tente une approche: ”Come va, amigos ?”
Ils me dévisagent avec des yeux ronds. Mon espagnol de pacotille fait choux blanc.
“Great day to go fishing !” je tente a nouveau.
Ces gars là, j’en suis sur, ne parlent pas une goutte d’anglais. Tous frais débarqués de Guatemala-City ou de Tijuana. Je parierai bien ma boite d’asticots qu’ils connaissent néanmoins les meilleurs “spots” et que, donc, j’ai intérêt a les suivre..
Quelques blocks plus loin, nous traversons Kent Avenue. Dangereuse mission que de ne pas se faire écrabouiller par les “MACK”, ces énormes camions briqués et chromés comme des bijoux de luxe, qui foncent comme des brutes dans ce no-man’s land….
La récompense est toujours de l’autre coté de la rue.
Faire encore attention…c’est un vrai terrain de mines qu’il faut franchir. Ferrailles rouillées, tessons de canettes de bière, carcasses de bagnoles, certaines devenues habitations à loyer modéré pour tribus de
rats, d’autres, repaires de chats grossiers et arrogants.
Et là, derrière le grillage défoncé…c’est enfin l’East River et d’abord son odeur sucrée et salée ( la mer n’est pas loin ), douce et amère, comme certaines soupes Chinoises..
Là, assis, sa canne bloquée par un pavé, un type est en action de pêche. Enfin….il serait plus juste de dire qu’il est en action de fumer un énorme joint et de se curer les oreilles avec des clefs de voiture. Soudain,il prend conscience de mon arrivée sur son territoire.
“How are you doing, man ?”
“Just fine” je réponds.
Le gars a une dégaine pas possible. Un T.shirt rose (sale) sur lequel est cousu en paillettes argentées “BORN IN BROOKLYN”, un short de boxeur et, à ses pieds, une paire de vieilles bottes Texanes en faux croco rouge: une merveille !!
Reconnaissant mon accent, il continue:
“Where you from,man ?’
“Paris,France” je réplique.
“ PARIS !!!! Fuck it..and what are you doing here ?”
“J’éspere pêcher un stripped bass” je lui confie.
“Well you’re a lucky bastard..that’s the BEST spot on the East River……et, qu’est ce que tu fais dans la vie ?”
“Je suis magicien !”
“You kidding me !” il fait ” Un VRAI magicien ?”
“Ouais !” je réponds, ”j’ai bossé dix ans dans un cirque en France comme magicien et fakir !”
“Show me something!” Il fait dubitatif
Je lui empreinte une cigarette et exécute un truc minable, genre “Le petit Magicien” page 5 à l’usage des enfants de 4 a 8 ans….vous voyez cette cigarette …et POF !….PLUS de cigarette !.
Le gars est sidéré.
“FUCK ME !! That’s incredible !
Et il se met a hurler: ’Hey Chunky, rapplique en vitesse !”
Du bout de la jetée, je vois apparaître un deuxième “monstre”
Ce gars là a une petite tête, presque une tête d’enfant, mais ornée d’une fine moustache à la Clark Gable. Cette tête curieusement posée sur un énorme torse entièrement tatoué de signes Chinois, planté sur des petites jambes. UNREAL !!!
Il arrive vers nous, soufflant comme un phoque.
“Hey, Chunky, mate ce mec…un drôle de Français…de magicien ! Do it again, Frenchy !” Ordonne t-il.
De bonne grâce, je recommence ce tour idiot avec la cigarette. Les deux types semblent aux anges .
Mais, la pêche dans tout ça, me direz vous ! Je ne suis tout de même pas venus dans cette poubelle pour faire l’idiot avec deux “geeks” de Brooklyn !
“Comment savez vous qu’ici, c’est le meilleurs coin de pêche de l’East River ?” je demande.
“Well,…” m’avoue Chuncky. “Nous sommes du gang de Driggs avenue et, avec ces putains de latinos du South Side, c’est la guerre depuis des lustres….COKE…tu comprends ?”
Ça, je le sais déjà ! Pas plus tard que la semaine dernière, deux putes se sont faites étendre sur North First street, ,JUSTE devant notre bâtiment. Et leurs corps ont été balancés dans la cage d’ascenseur de l’immeuble de leurs parents.
Et Chunky en remet une couche: “D’habitude,les cadavres de Latinos,on les balance par ici,dans la rivière. Ça engraisse les crabes et, les stripped bass, ils adorent ces de gros crabes !”
L’eau de la rivière est couleur de café au lait. Troublée…comme moi.
L’après-midi s’écoule doucement bercée par les clapotis sur le quai, tous les trois assis les jambes au dessus de l’eau, les cannes oubliées comme sont oubliés les stripped bass.
On ne dit plus un mot. Les mouettes criardent au-dessus de nous, essayant de se chipper nos
morceaux de sardines. Le soleil se fait discret. Le ciel devient rouge comme sur les gravures chinoises du temps de Mao. Et, de l’autre coté de la rivière, Manhattan devient rose et violet.
Les tours jumelles qui étaient encore debout à cette époque, bandent effrontément au Sud de l’île…Le plus formidable décor de théâtre du monde….Putain de de beauté, de sauvagerie et d’élégance !
Et moi,petit Parisien immigré, assis entre deux assassins, je bénis les Dieux.
A MILLION DOLLARS FISHING SPOT.
dream-of-love-21
Flèche